Par Néjib Ouerghi La réflexion de Thomas Jefferson qui a dit « si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l'une ni l'autre» est plus que jamais d'une actualité brûlante. Elle traduit bien la relation complexe et problématique qui existe entre sécurité et liberté qui ne peut, aucunement, être perçue comme une relation de cause à effet. A l'évidence, la sécurité ne peut être préservée par la négation de l'épanouissement de la liberté et vice-versa. Ce qui s'est passé, le 9 avril dernier à Tunis, a prouvé que plus on raisonne en termes de sécurité stricto sensu, plus le champs des libertés se rétrécit, plus les abus se multiplient et plus le mécontentement gagne du terrain. Dès lors, est-il possible, par excès de rigueur sécuritaire, de transformer une commémoration solennelle en une manifestation de colère et de violence? La fête des Martyrs, sous l'effet du rejet d'une décision administrative jugée non fondée et du déferlement de la violence qui l'a accompagnée, s'est transformée en un lundi noir à Tunis. Le déploiement massif des forces de l'ordre a choqué, les violences subies par les citoyens, les représentants de la société civile, les journalistes et même par certains membres de l'Assemblée nationale constituante, nous ont replongés dans le doute. Le refus catégorique de toute manifestation sur l'avenue Bourguiba, devenue emblématique depuis la révolution du 14 janvier 2011, où s'expriment toutes les formes de contestation, a été considéré comme une erreur politique. Plus qu'une fête gâchée, la succession des événements a laissé la place au doute, à la suspicion, à une profonde déception et au questionnement sur la trajectoire suivie par le pays, plus d'un an après une révolution qui a pourtant ravivé bien des espoirs et des attentes. Incontestablement, ce qui s'est passé durant la journée du 9 avril a porté un coup dur au corps des forces de sécurité, en pleine reconstruction de son image, et qui se veut être au service des Tunisiens et des valeurs républicaines. L'image de la répression, qui lui a tout le temps collé et qu'on croyait qu'elle est en train de disparaître, a soudain resurgi. D'une manière insistante. Résultat : la confiance dans ce corps est à nouveau entamée. Un dommage collatéral dont il est difficile de réparer vite les séquelles. Parce qu'on n'a pas su faire montre de sens d'anticipation, de flexibilité et d'habileté et qu'on a un peu oublié l'esprit du 14 janvier 2011, que le pays a été précipité dans une nouvelle crise politique qui a fait de l'accessoire un sujet central et du fondamental une question accessoire. Au lieu de chercher les véritables causes de la colère et les raisons qui ont conduit au refus de l'interdiction de manifester, certaines parties se sont obstinées à chercher des arguties pour créer plus de frictions et alimenter des polémiques stériles. Au lieu de comprendre la levée de boucliers contre la décision d'interdiction de manifester à l'avenue Bourguiba et contre l'usage disproportionné de la force comme un signal clair de la non-acceptation par les Tunisiens de toute velléité de restreindre les libertés, on s'est évertué à chercher de faux alibis. Une fois n'est pas coutume, on jette l'anathème sur les médias publics, considérés à tort comme la source de tous les maux. Des médias qui s'obstinent à dire la vérité et agir en toute indépendance et en toute liberté. Certains partis politiques et certaines composantes de la société civile, dont le crime est de ne s'être pas tus et de n'avoir pas accepté le fait accompli qu'imposent «des impératifs d'ordre public», n'ont pas été épargnés non plus! Pourtant, il aurait fallu agir autrement et avoir pour référentiel la grande réussite rencontrée par la commémoration, par toutes les composantes de la société civile, de la fête de l'Indépendance, le 20 mars dernier. Une commémoration qui a été une véritable kermesse de la démocratie et qui a démontré la maturité des Tunisiens et leur engagement citoyen à défendre leur liberté, leurs droits, dans le calme, le respect. Les images et les récits véhiculés par les médias ont été d'une remarquable signification. Presque aucune fausse note. La levée de l'interdiction, sous conditions, des manifestations à l'avenue Bourguiba, décidée mercredi en Conseil des ministres, a certes désamorcé la crise, pas le mécontentement. L'enquête indépendante qui sera diligentée offrira une occasion pour identifier les vrais responsables qui ont transformé une fête en une journée triste. Le plus important, c'est de voir, aujourd'hui, toutes les parties tirer les bons enseignements, qui épargneraient au pays des polémiques qui nous éloignent chaque jour un peu plus de nos véritables priorités. Des enseignements propres à susciter la convergence de toutes les bonnes volontés et de tous les efforts vers des objectifs communs. Des objectifs qui permettraient à la Tunisie de réussir sa transition vers la démocratie, la liberté et la tolérance dans un esprit de consensus, de dialogue et de respect.