Les amateurs des débats politiques et des tables rondes sur des thèmes tels que la justice transitionnelle et l'indépendance de la justice sont-ils en train de s'essouffler ou de perdre leur enthousiasme démontré lors des premières semaines de la révolution ? Hier, ils étaient en tout et pour tout vingt et une personnes, y compris les journalistes et les conférenciers, à avoir répondu à l'invitation de la Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle qui a organisé, en partenariat avec l'Association des magistrats tunisiens (AMT) et le conseil de l'Ordre des avocats, une journée d'étude sur «La justice transitionnelle et l'indépendance de la justice : quelles garanties et quels risques». Au menu de cette rencontre-débat, deux communications suivies d'un débat général. La première a été donnée par le magistrat administratif, Abderrazak Ben Khalifa, qui a traité de l'organisation temporaire du pouvoir juridique ou, plus précisément, de l'instance provisoire de la magistrature dont le projet de loi vient d'être adopté par le Conseil des ministres et soumis à l'Assemblée nationale constituante afin qu'il soit discuté puis adopté. La deuxième conférence traitant du mécanisme de révocation des magistrats a été donnée par Me Hafedh Brigui, enseignant et avocat auprès de la Cour de cassation. Les représentants des parties organisatrices du débat ont rappelé que si la révolution visait «en premier lieu l'éradication de la magistrature corrompue et aux ordres, la justice transitionnelle n'a pas pour objectif d'infliger des sanctions ou des peines à ceux parmi les magistrats qui n'ont pas résisté aux pressions ou aux tentations, ces sanctions demeurant toujours du ressort de la justice traditionnelle». Y a-t-il une conception générale relative à la justice transitionnelle au niveau du gouvernement actuel ? La réponse à cette question est très simple : «Il n'y à l'heure actuelle, — soulignent les représentants de la coordination générale, de l'Ordre des avocats et de l'AMT — aucun projet sérieux visant à instaurer cette justice transitionnelle. L'on a le sentiment qu'il y a des parties qui veulent que certaines réalités ne soient jamais révélées au public et que les magistrats, surtout ceux appartenant à l'AMT, soient écartés de tout ce que l'on entreprend au niveau des commissions créées en vue de discuter des assises juridiques sur lesquelles reposera l'Instance de la Justice transitionnelle ou de la création de l'instance provisoire pour la magistrature». La mainmise du ministère de la Justice Pour Abderrazak Ben Khalifa, qui a parlé de la lenteur observée par le gouvernement quant à la création de l'Instance provisoire de la magistrature, «c'est le ministre de la Justice qui fait aujourd'hui tout pour ce qui est des nominations des magistrats ou de leur mutation. Ainsi, la magistrature est-elle sous la mainmise totale du ministère». Revenant au projet de l'Instance provisoire de la magistrature proposé par le ministère de la Justice, il a notamment précisé que le «projet en question ne répond pas aux spécificités de l'étape actuelle et les champs d'intervention de la prochaine instance provisoire pour la magistrature devraient s'ouvrir, dans leur composition, sur d'autres secteurs». Quant au mode d'élection des futurs membres de l'Instance, Abderrazak Ben Khelifa considère qu'il doit y avoir un mode combiné consistant en l'élection d'une partie de l'instance par les magistrats eux-mêmes, alors que la deuxième partie devrait être désignée par l'Assemblée nationale constituante. Les magistrats sous la pression de la rue Me Hafedh Brigui, enseignant universitaire et avocat près la Cour de cassation, a notamment souligné, en parlant du mécanisme de la révocation, que «la justice doit être le protecteur des droits et des libertés et doit être à l'écart de toutes les formes de pression ou de tiraillements, qu'elles soient d'ordre politique ou économique». «Malheureusement, aujourd'hui, après la révolution, les choses ont changé. Les magistrats craignent de plus en plus les pressions et rendent des verdicts dans le but de satisfaire la rue». Quant à la révocation des 82 juges par le ministre de la Justice, fin mai dernier, il a précisé que «le mécanisme doit obéir aux normes afin d'éviter que les magistrats convaincus de malversation ne deviennent des victimes pour la simple raison que l'une des procédures n'a pas été respectée». «L'analyse de la décision du ministre, sur la base de la loi en date de 1967, montre que la révocation devait être signée par le chef du gouvernement et publiée au Journal Officiel de la République Tunisienne. Il se trouve qu'aucune parmi ces procédures n'a été respectée. Pire encore, jusqu'à maintenant, il n'y a pas de décision écrite concernant la révocation et aucun des magistrats révoqués n'a reçu de notification écrite l'informant de la fin de sa mission», précise encore Me Brigui.