Par Soufiane BEN FARHAT Certains événements deviennent tellement préoccupants. Tel le passage à tabac particulièrement violent de Me Ahmed Néjib Chebbi par une horde de salafistes dans le nord du pays. Ou la filature policière à la bonne franquette de Me Abderraouf Ayadi. Deux opposants subissant ces deux jours des traitements de choc tels que pratiqués avant la révolution du 14 janvier 2011. Et cela survient au moment même où se déroule le 9e congrès du mouvement Ennahdha, parti dominant de la Troïka gouvernementale. Ce qui suscite l'expectative et autorise des interrogations légitimes. On aurait bien voulu voir une atmosphère moins tranchée sur des considérations partisanes ces derniers jours. Mais, visiblement, notre classe politique aux commandes du pouvoir et de l'opposition est nourrie de préventions. Les clivages y frôlent les seuils des antagonismes sans appel. Soyons clairs. La partitocratie est la maladie infantile de la révolution tunisienne. Ou de ce qu'il en reste. D'abord, parce que l'inflation démesurée des partis a presque vidé l'engagement politique de sa substance. Ensuite, parce que les partis ont désenchanté la politique et créé les logiques tribales, froides et sourdes. A telle enseigne que des alliés de longue date se boudent désormais, ou se regardent en chiens de faïence. Les nouveaux rapports de force politiques y sont pour beaucoup. Seulement, ces mêmes rapports sont comme des sables mouvants. D'abord, la Troïka gouvernementale s'est fissurée. Dans un premier temps, le CPR et Ettakatol, alliés d'Ennahdha dans ladite Troïka, ont subi une série de désaffections et de scissions. Cela s'est vérifié amplement au niveau de leurs structures dirigeantes et de leur base militante. Ensuite, les relations de la Troïka se sont envenimées à la faveur du télescopage des compétences de la présidence de la République et du gouvernement. C'est-à-dire entre le CPR et Ennahdha, les deux chefs respectifs en charge de l'exécutif. Cela a rejailli aussi sur les relations entre le CPR et Ettakatol, le premier considérant le second comme particulièrement suiviste à l'endroit d'Ennahdha. En fait, l'usure du pouvoir est passée par là. Et elle a été particulièrement véloce. C'est un véritable phénomène digne de l'intérêt dans la sociologie des révolutions. Ne nous y trompons pas. La politique a vite fait de perdre ses lettres de noblesse sous nos cieux. Les différences sont devenues sujet de discorde permanente. Et violente. La critique est apparentée à l'invective. Les guerres de chapelle menacent de faire crouler la révolution proprement dite sous le joug des féodalités politiques. Il en va de toute une génération de politiciens aux commandes de la chose publique. La dimension éthique immanente à toute révolution bat de l'aile. Ses contrecoups sont pervers, pernicieux, délétères. Des jeunes enrôlés à la va-vite dans les combats factices en sont les symptômes affligeants. On leur a bourré le crâne de simples slogans réducteurs, poncifs simplistes et préjugés rudimentaires. La meilleure illustration en est la représentation que se font, l'un de l'autre, un jeune islamiste et un jeune progressiste. C'est fort intéressant à savoir. Mais attention, vous êtes prévenus, il y a bien des risques et périls à l'issue de cette approche cognitive. Lorsqu'il avait institué la République, en 1957, le leader Habib Bourguiba avait exhorté les Tunisiens à en faire le bien indivis entre tous. Aujourd'hui, nous sommes en manque d'une telle attitude. La révolution n'est guère une série de tronçons antagoniques et superposés appropriés ou accaparés par telle ou telle mouvance. Ce n'est pas non plus une construction éparse de fiefs antagoniques. Lorsque Néjib Chebbi est sauvagement agressé, ce sont tous les Tunisiens qui le sont. Toutes les composantes du patchwork politique en sont lésées. Et tout le monde devrait promptement réagir. Autrement, tous les fiefs jalousement repliés sur eux-mêmes en pâtiront un jour ou l'autre.