Par Abdelhamid GMATI Séances tumultueuses à l'Assemblée nationale constituante, cette semaine. Chamailleries, vociférations, invectives, railleries, les députés s'en sont donné à cœur joie, étalant leurs divergences en un ballet qui frisait parfois la mascarade. Ce qui a surpris et offusqué nombre de Tunisiens suivant les débats en direct à la télé. Point saillant : la boutade d'un député de l'opposition, M. Mahmoud Baroudi, estimant que «c'est là un décret d'un président provisoire d'une République bananière». Tollé dans la salle, les uns s'en amusant, d'autres désapprouvant comme M. Habib Kheder (Ennahdha) qui a considéré ces propos comme «un délit et une insulte au peuple tunisien aussi grave que l'incident de l'atteinte au drapeau national» et a exigé des excuses de leur auteur. Est-ce si grave ? Rappelons d'abord que cette expression a été prononcée par un écrivain américain, qui décrivait ainsi certains pays d'Amérique centrale où une multinationale US imposait la banane comme monoculture, en retirant des profits énormes avec quelques responsables locaux, faisant fi des lois de ces pays et des intérêts de leurs peuples et usant de divers moyens comme la prévarication sur le bien public, la corruption, le détournement de revenus économiques, le maintien des populations dans la terreur grâce à une police aux ordres... L'expression s'est étendue par la suite et a été utilisée pour qualifier des régimes dictatoriaux, corrompus ou pour des abus de pouvoir, des manquements aux devoirs d'un fonctionnaire ou d'hommes d'Etat, du népotisme, le recours à la démagogie pour se maintenir au pouvoir, etc. Plusieurs pays ont été affublés de cette expression. En France par exemple, l'on a utilisé l'expression pour dénoncer «le pouvoir de nomination du chef de l'Etat» comme «le socle de cette République bananière», et qu'avec «600 nominations directes, le président “verrouille" tous les lieux de pouvoir. Les pouvoirs exorbitants du chef de l'Etat, sa mainmise sur la justice et les contre-pouvoirs, la puissance des réseaux, etc.». Qu'en est-il chez nous ? Cela a commencé avec l'extradition de l'ex-Premier ministre libyen, jugée illégale et sans l'aval du président de la République, lequel, outré, a réagi en prenant une décision de dépit : démettre le gouverneur de la Banque centrale, sans en donner les raisons. Cela avait fait polémique. Pour le calmer, le gouvernement a «créé» des motifs qui s'avérèrent fallacieux. Selon la loi, le décret devait être entériné par la Constituante. Là, les députés de l'opposition dénoncèrent un vice de forme et exigèrent un autre document plus conforme. Le président de l'Assemblée, soucieux de satisfaire les désirs du parti majoritaire, n'en tint pas compte et imposa un vote. Qui, sans surprise, aboutit à la destitution du gouverneur. Une décision, sans motifs objectifs, juste un fait politique. Grosse polémique et dénonciation du fait du prince. Le lendemain, arrive un autre décret présidentiel, nommant un nouveau gouverneur. Mais là aussi, il y a un vice de forme, le document étant daté du 11 juillet, c'est- à -dire avant la décision de l'Assemblée de démettre l'ancien, soit le 18 juillet. Ce vice de forme, dénoncé d'abord par les élus d'Ennahdha, a tout de suite été pris en considération par le président de l'Assemblée, qui a renvoyé la séance en attendant un autre document plus conforme. Re-grosse polémique. C'est cette accumulation de faits, pour le moins discutables, qui a motivé le ras-le-bol du député Baroudi et qui l'a amené à parler de «République bananière». A cela viennent s'ajouter d'autres faits et déclarations, suscitant des interrogations, des inquiétudes, des réprobations. Comme la volte-face du Premier ministre qui, après avoir assuré que les prochaines élections auront lieu au mois de mars, déclare maintenant qu'il n'y aura pas d'élections au mois de mars. Sans explications, ni désignation d'une autre date. Comme cette déclaration d'un constituant d'Ennahdha qui affirme que la nouvelle Constitution ne sera pas prête le 23 octobre comme cela avait été annoncé et assuré par les principaux dirigeants du pays. En constatant que les pouvoirs publics ne respectent pas la légalité formelle, contournent les lois, multiplient les déclarations contradictoires et les actions arbitraires, faut-il en conclure que la Tunisie est devenue une «République bananière» ? Précisons sur le mode anecdotique que notre pays ne produit pas de bananes, il en importe même de grandes quantités. Par contre, il produit le «hindi». Devons-nous plutôt parler d'une «République de hindi» ? Mais cette figue de Barbarie, fruit du cactus épineux, ne constitue pas une monoculture. En fait, la question n'est pas de savoir si c'est une «République de hindi» ou «bananière». Cela reste anecdotique. Il faut plutôt se demander : la Tunisie est-elle encore une «République», avec tout ce que cela implique comme intérêt général, démocratie, libertés, équilibre des pouvoirs, transparence, justice, etc ?