Par Soufiane Ben Farhat Temps difficiles pour la Troïka. Les dissensions battent leur plein. Elles sont multiples. Entre les trois partis formant l'alliance gouvernementale d'abord. Au sein de chacun de ces partis aussi. Le doute commence à s'emparer des plus fervents supporters, çà et là. L'usure du pouvoir est passée par là. Rapidement, il est vrai. En fait, c'est un cas d'école. Voici une alliance tripartite fraîchement élue, dont les membres étaient opprimés ou laissés-pour-compte du système. Elle passe aux commandes de l'Etat. Et affiche, dans un premier temps, un maintien intransigeant, voire hautain. Si bien que ses plus fervents séides commencent à envisager de perdurer au pouvoir pendant de très longues années encore. Ils le déclament de vive voix et à tout vent. Psychologiquement, les partisans du nouvel establishment ont très tôt affiché une allure altière sinon arrogante. Dans la foulée, ils ont multiplié les incidents avec les intellectuels, les journalistes, les artistes et les syndicalistes. Ce faisant, ils pèchent par orgueil. Ils érigent l'attachement à l'instant en une espèce de fidélité à l'éternel. Or, le pouvoir ne perdure que grâce, entre autres, à la générosité, à la magnanimité. En politique, c'est synonyme de libéralité, de tolérance. S'inscrire d'emblée en porte-à-faux d'une réalité, d'une société aux traditions élitistes bien ancrées est contreproductif. Ainsi la Troïka s'est-elle retrouvée dans une attitude de préventions et de conflits non déguisés. Là où il fallait chercher le consensus et cimenter le processus de légitimation, elle a multiplié les querelles et les incidents fâcheux. Au point d'oublier le facteur temps. Celui-ci ne donne pas le beau rôle à celui qui gouverne, quel qu'il soit. Les attentes sont multiples, pressantes. Dans les classes et couches populaires, les requêtes vitales sont de mise. Travail, chômage, renchérissement des prix et des denrées alimentaires, aggravation des déséquilibres régionaux, autant de tares, de requêtes et de sujets d'insatisfaction permanente. Au lieu de prendre le taureau par les cornes, on s'est vainement abîmé en différends secondaires et mal à propos. Ajoutons-y l'inexpérience dans la gestion des affaires et l'on comprend l'ampleur du retour de manivelle. L'affaire de l'extradition de Baghdadi Mahmoudi, l'ex-Premier ministre libyen, a été particulièrement coûteuse à la Troïka. Au début, le gouvernement voulait offrir un cadeau de choix aux islamistes libyens à la veille d'un scrutin crucial et incertain. La présidence de la République et le gouvernement se sont affrontés là-dessus. Publiquement et sans merci. Dans la foulée, le président de la République a signé l'arrêté portant limogeage du gouverneur de la Banque centrale. En guise de rétorsion. Le gouvernement a pris acte et a préféré lui consentir ce cadeau et jouer l'apaisement. Le président de l'Assemblée constituante (partie intégrante de la Troïka) est intervenu lui aussi. On a avancé le nom du nouveau candidat à la tête de la Banque centrale. Et ce fut la pagaille. La guerre de tous contre tous. Désormais, les profonds clivages ne sont plus entre la majorité gouvernementale et l'opposition. Ils traversent les propres rangs des partis gouvernementaux, intra et extramuros. Le ver est dans le fruit. Le pouvoir, toutes instances confondues, se retrouve de surcroît dans la tourmente économique et sociale. Elle est due notamment aux coupures d'électricité, pénuries et coupures d'eau dans des villes et régions entières, en pleine canicule. Ajoutons-y l'exaspération des couches populaires qui attendent toujours l'emploi et les attributs de la vie digne. Les mouvements protestataires survenus, hier, à Sidi Bouzid et à Djerba en sont un exemple édifiant. Au bout du compte, l'usure du pouvoir ne joue que si le terreau lui est favorable. Sa cadence est d'ailleurs variable, selon les circonstances et les données en place. Ici et maintenant, en Tunisie, on peut parler déjà de mauvaise passe aux issues incertaines. Jours sombres pour la Troïka. Avec un front intérieur affaibli, fragmenté ou en partie hostile, elle n'est guère assurée de redresser la barre de sitôt. Elle devra courir deux fois plus vite pour espérer regagner les faveurs de l'opinion désabusée. Ce qui suppose de consentir des sacrifices, en interne et dans ses rapports aux composantes de l'environnement politique.