Par Zouhaïr EL KADHI (Dr en économie) Dix-huit mois après la révolution, la Tunisie se trouve toujours au milieu du gué, paralysée par un climat d'incertitude sans précédent caractérisé par de fortes tensions sociales. Plus les jours passent, plus les plaies économiques deviennent profondes. L'offre et la demande semblent affectées et un rééquilibrage de l'économie tunisienne s'avère tout aussi indispensable que difficile à mettre en œuvre. Parce que s'ils ont pour l'instant maintenu leur niveau d'achats, les Tunisiens manifestent aussi une perception de la réalité extrêmement pessimiste alimentée par de nettes hausses de prix et une forte dégradation de l'emploi. L'économie tunisienne est-elle au bord du gouffre ? Sans doute pas, même si les raisons d'afficher un certain pessimisme ne manquent pas. Cependant, même si l'inquiétude est légitime, quelques éléments requis pour un redémarrage sont entrevus. En effet, le PIB affiche une hausse de 2,1% au deuxième trimestre en glissement annuel. Cependant, cette reprise économique est très fragile, ce qui fait planer des doutes sur les prévisions de 2012 et 2013, doutes liés à la fragilité des équilibres macroéconomiques qui menacent la reprise. Aujourd'hui, chacun s'accorde à reconnaître que notre économie est en panne, accumule des faiblesses et nécessite des actions concrètes et efficaces. En effet, au moment où la croissance peine à retrouver son rythme de croisière, l'inflation galope, les réserves en devises sont en forte baisse, les déficits courant et budgétaire explosent et le chômage augmente. La vérité, pas toujours facile à dire, doit être vue en face : la Tunisie peut être considérée comme un pays qui risque de tomber dans une trappe de fragilité si rien n'est fait à temps. Il ne sert à rien de dire qu'avec 2,1% de croissance du PIB réel au deuxième trimestre, le plus dur est derrière nous. Car ce n'est pas vrai. Les déséquilibres sont là et de nombreux défis restent à relever. L'économie tunisienne doit faire face à une conjoncture nationale et internationale difficile tout en évitant l'écueil des déséquilibres macroéconomiques qui risquent de tuer dans l'œuf toutes les prémices de reprise. En tout état de cause, ces déséquilibres vont peser lourdement sur la croissance en 2012 et 2013 et on peut en dénombrer au moins trois principaux : Le risque d'un dérapage budgétaire La loi de finances complémentaire de 2012 a prévu un déficit budgétaire d'environ 6,6% du PIB. Comparé aux années passées (1,1% en 2010 et 3,5 % du PIB en 2011), ce niveau paraît relativement élevé, mais dans un contexte de conjoncture difficile, il n'a rien d'alarmant. Cependant, il est fort à craindre, voire probable, que ce niveau soit largement dépassé, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, il n'est pas certain qu'une croissance de 3,5% cette année soit réalisable. Ensuite, il n'est pas si certain non plus que les objectifs en matière de recettes exceptionnelles, notamment celles ayant trait aux biens confisqués et celles provenant de la contribution volontaire ainsi que celles liées aux dons, soient réalisables. Tous ces éléments indiquent que l'objectif de déficit budgétaire semble compromis cette année. Un tel dérapage budgétaire augmenterait d'une manière quasi automatique la dette publique et réduirait, par ricochet, les marges de manœuvre pour 2013. Le risque d'aggravation du déficit courant Au rythme auquel évoluent les exportations (3,7% pour les sept premiers mois de 2012 contre 10,2% au cours de la même période de l'année 2011) et les importations (14,6% contre 3,4% un an auparavant), le déficit commercial se creuse très fortement par ces deux aspects. Par conséquent, et en dépit des excédents enregistrés au niveau du solde des services, des revenus des facteurs et des transferts courants, le déficit courant s'accroît fortement pour atteindre 3 663 MD, soit 5,2% du PIB durant les sept premiers mois de l'année 2012 contre 3,7% au cours de la même période de l'année 2011. La nature structurelle du déficit commercial va continuer à exercer une forte pression sur le taux de change et exigera, s'il se poursuit, la mise à disposition d'importantes ressources extérieures. Le risque inflationniste Depuis le début de l'année 2012, le pays connaît des pressions inflationnistes non négligeables qui commencent à être fortement ressenties par les Tunisiens. Avec une hausse de 5,6% en glissement annuel de l'indice de prix à la consommation au mois d'août, le risque inflationniste est revenu sur le devant de la scène dans notre pays. Avec près du tiers du budget alloué aux dépenses alimentaires, une hausse de 7,5% en glissement annuel pour le mois d'août des prix des produits alimentaires est de nature à mettre sous pression le pouvoir d'achat des ménages, déjà en berne, et alimenter un sentiment de ras-le-bol. Eu égard à tous ces éléments et bien d'autres encore, le gouvernement actuel doit s'armer de vigilance afin de remettre l'économie sur le chemin de la croissance tout en évitant l'écueil de la fragilité des équilibres macroéconomiques. Ainsi une vision claire et lisible de l'orientation économique serait un facteur favorable à la formation d'anticipations plus stables et de croissance plus forte. Aujourd'hui, l'absence de cette vision donne le sentiment de vivre dans un système économique et social figé et suscite par conséquent beaucoup d'inquiétudes. Les décisions doivent être fondées sur une compréhension approfondie et nuancée des contraintes et des moteurs de la croissance car, au final, une croissance économique durable est sans doute impossible sans un cadre macroéconomique stable. Dès lors, il devient nécessaire de rechercher les conditions nécessaires de l'incontournable stabilité macroéconomique.