La tuerie de Benghazi ne doit pas nous faire oublier les excès des salafistes qui s'en prennent aujourd'hui au culte des saints et des soufis. L'odieux assassinat de l'ambassadeur américain et de nombreux diplomates en poste en Libye par des fanatiques salafistes qui opèrent en toute impunité dans les pays du Sahel africain et, même, plus près de nous, sous prétexte qu'il faut combattre le culte des saints et la doctrine soufie, vient après la projection d'un film réalisé par un juif américain, L'innocence des Musulmans, jugé à juste titre blasphématoire à l'égard de notre Prophète, et qui a eu pour effet de jeter de l'huile sur le feu. Cet acte odieux, qui risque de mettre en danger la sécurité des musulmans aux Etats-Unis, nous pousse à nous interroger sur l'origine de cette hargne contre le culte des saints et des soufis. Le soufisme est la réalité mystique de l'Islam, principalement sunnite. Né avec l'Islam, le soufisme ne s'est inscrit que progressivement dans l'histoire. La «Tariqa» évoque la voie spirituelle de la confrérie. L'homme, un reflet de la connaissance divine Pendant les premiers siècles, il fut une spiritualité discrète et ascétique, sans statut social clair et reconnu, ne s'exprimant guère par des écrits. Les premiers mystiques furent des compagnons du Prophète désirant approfondir leur foi et se livrer à la soumission à Dieu jusqu'à l'extinction totale en Lui. C'est au IXe s., en Irak, que les soufis se regroupent autour de Halladj, un mystique persan condamné et crucifié en 922, après avoir révélé une vérité scandaleuse pour les théologiens et tenue secrète par les soufis. Son effacement en Dieu l'avait poussé à dire «Je suis la vérité», autrement dit : il n'y a que Dieu, si bien que l'homme est fondamentalement un avec l'Unité divine. Présentées sous forme philosophique ou à travers des poèmes, les doctrines soufies sont d'une grande diversité. Elles comprennent la psychologie spirituelle, la connaissance des états initiatiques, la cosmologie, la science de l'alchimie ou l'astrologie et une métaphysique qui, s'abîmant dans le mystère divin, voit plus loin que la théologie. L'Imam Ali formulait ainsi le principe de la connaissance : «Je connais Dieu par Dieu et je connais ce qui n'est pas Dieu par la lumière de Dieu.» Tout comme il y a plusieurs tendances en Islam, il existe plusieurs types de soufisme. Chacune décline un genre de spiritualité où l'amour de Dieu, l'ascèse et le sacrifice, la connaissance contemplative s'articulent de façon différente. Les enseignements soufis reposent sur un même corpus de vérités premières. Dieu seul est réel, alors que le monde et l'ego sont des illusions. Le monde n'est qu'une ombre de l'Infini, il est également un symbole de l'Invisible. La création est à la fois un voile qui cache Dieu, et un vitrail qui révèle Sa Lumière. La théologie met souvent l'accent sur la nature inaccessible de Dieu, alors que le soufisme révèle son immanence. Doué de raison et de volonté, l'homme est un petit monde qui peut devenir un reflet de la connaissance divine par sa spiritualité. L'univers (le macrocosme) et l'homme (le microcosme) se correspondent : le corps, l'âme et l'esprit sont en relation avec le monde sensible, l'âme cosmique et l'Esprit universel. Les soufis vivent en conformité et en harmonie avec la nature suprême de l'homme avec Dieu. Ils entretiennent cette relation jusqu'à la dépasser par l'union à Dieu. Pour le soufi, Dieu est le soleil qui, par ses rayons, brille sur tout le monde ; c'est pourquoi il considère que toutes les religions se valent et qu'elles émanent de Lui ; des paroles qui sont autant de chemins vers l'unité. L'âge d'or du soufisme Le soufisme a connu son âge d'or grâce aux théologiens Ghazali, Mevlana Rûmi, Shiraz, Nezami, Sohraverdi, Saâdi, Djami avec Hafiz (XIVe siècle). La littérature mystique turque, qui a fait son apparition à la fin du XIIIe siècle avec Yunus Emre, grâce à une langue dépouillée, humble et bouleversante, a réussi à toucher le cœur de l'Anatolie qui venait juste d'être islamisée. Plusieurs siècles après, voilà que la situation vire au pire et les exemples qui nous viennent de Tombouctou et même chez nous, ne sont pas pour rassurer les bons musulmans que nous sommes, décidés et déterminés plus que jamais, à nous opposer par tous les moyens, surtout pacifiques, à changer par le dialogue les outrances qui nous font mal de quel côté que ça vienne. Aussi bien des fanatiques juifs que salafistes.