Abdessattar Ben Moussa, Chaouki Tebib, Mouldi Jendoubi, Samir Cheffi et Mohamed Guesmi ont-ils réussi, hier, à convaincre les membres de la commission de la législation générale relevant de l'Assemblée nationale constituante de l'originalité du projet portant création de la prochaine Isie concoté, en commun, par la Ligue des droits de l'Homme, le Conseil de l'ordre des avocats et l'Union générale tunisienne du travail ? La réponse à cette question n'est pas évidente au regard des remarques soulevées par les constituants quant au bien-fondé, surtout, des propositions concernant l'octroi à la société civile du droit de présenter les candidatures à la prochaine instance électorale. Des réserves ont été émises quant à la suggestion donnant le droit au futur président de cette même instance ( désigné par consensus des trois présidents — de choisir lui-même trois parmi les huit membres qui constitueront le bureau directeur de l'Isie attendue. Quelles sont les nouveautés comprises dans le projet de l'Ugtt, de la Ltdh et du Conseil de l'ordre des avocats en comparaison de celui soumis par le gouvernement à la Constituante ? Entre les quotas politiques et les quotas corporatistes Les initiateurs du projet qui se sont relayés au micro de la commission ont insisté sur deux points qu'ils jugent essentiels. D'abord, la séparation entre le pouvoir de proposition du président et des membres de la prochaine Isie et le pouvoir de leur élection. Ainsi considèrent-ils qu'il est inacceptable qu'ils soient proposés, comme l'indique le projet gouvernemental, par l'Assemblée nationale constituante (dont une commission devra statuer sur les candidatures libres et ouvertes à tous les intéressés répondant à certains critères tout de même) et élus par la même institution. Pour pallier cette anomalie, les syndicalistes, les militants des droits de l'Homme et les avocats préfèrent que les candidats soient proposés à l'ANC par les représentants de la société civile. Toutefois, ils concèdent aux trois présidents le droit de choisir, sur la base du consensus, le futur président de l'Isie. Mais de quels représentants de la société civile s'agit-il quand on sait que les organisations et les associations qui s'intéressent à la vie politique et plus précisément à la Constitution de l'Instance électorale tant attendue se comptent, aujourd'hui, par dizaines, pour ne pas dire par centaines. Pour les auteurs du projet, les choses sont claires et évidentes : «Il est vrai, reconnaît Chaouki Tebib, bâtonnier des avocats, que les associations intéressées ne se comptent plus mais celles qui ont de l'expérience et de la compétence dans le domaine des élections, qui sont réellement indépendantes des partis politiques, qui bénéficient d'une véritable crédibilité, se comptent sur les doigts d'une seule main. Et ce sont bien la Ligue, l'Ugtt et l'Ordre des avocats qui sont les mieux indiqués pour représenter la société civile». Une deuxième anomalie relevée par le même projet : il s'agit de la création d'un comité administratif relevant de la présidence du gouvernement, qui aura pour tâche de coordonner entre l'Isie et les administrations publiques. Et ce, afin de faciliter la satisfaction des demandes à caractère administratif ou logistique que le comité directeur de l'Isie aura à formuler à l'occasion des élections (législatives, présidentielle ou municipales) ou des référendums. Pour Chaouki Tebib, bâtonnier des avocats, et Abdessattar Ben Moussa, président de la Ltdh, «il n'est pas question que ce comité de coordination, appellation malheureuse rappelant des souvenirs pénibles, soit créé. Car sa présence constituera purement et simplement une entrave à l'indépendance de l'instance des élections puisque les membres de ce comité seront aux ordres du chef du gouvernement, lui-même partie prenante aux prochaines élections». Toutefois, le bâtonnier reconnaît qu'à la suite d'une rencontre de négociation avec les responsables du gouvenement, «nous avons décidé de faire une concession et nous avons accepté la création d'un mécanisme qui sera chargé de la coordination, sans pour autant interférer dans les activités de l'Isie». «Quant à ceux qui nous accusent de chercher à imposer les quotas à caractère corporatiste au sein de la future Isie tout en dénonçant les quotas politiques, je leur réponds que nous n'avons nullement l'intention de vouloir imposer des juristes, qu'ils soient des avocats, des magistrats ou des enseignants de droit, parmi les membres de l'Isie. Nous voulons, tout simplement, que nos opinions soient écoutées sur des dossiers que nous estimons relevant de nos spécialités, et le dossier de l'Isie est précisément l'un de ces dossiers». Seulement, lors de la présentation détaillée des composantes du projet tripartite assurée par Mohamed Guesmi, enseignant universitaire et expert en droit constitutionnel, les constituants ont découvert que l'idée des quotas corporatistes ou sectoriels est bel et bien présente dans les propositions relatives à la composition du bureau directeur de l'Isie. «Outre les six membres qui seront proposés par le président de l'Instance (2 représentant la société civile, 2 issus de l'ancienne instance et 2 parmi les personnalités dites personnalités nationales), les autres membres au nombre de 10 seront issus de la société civile à raison de six magistrats, deux avocats exerçant au minimum près la Cour d'appel et deux enseignants universitaires qui seront choisis par l'Ugtt parmi les universitaires les plus représentatifs», souligne Mohamed Guesmi, rédacteur principal du projet. Une précision qui a suscité des critiques poussées des constituants qui n'ont pas hésité à relever la confusion et les contradictions dans lesquelles sont tombés les promoteurs du projet tripartite. Leurs interrogations étaient claires et précises : «Comment le bâtonnier déclare t-il s'opposer à tout quota à caractère corporatiste alors que le texte prévoit que le Conseil de l'ordre proposera deux avocats. Idem pour les six magistrats dont les noms seront avancés par la prochaine instance de la magistrature et pour les deux universitaires dont les noms seront proposés par l'Ugtt selon des critères, le moins qu'on puisse dire, flous», ont-ils lancé en chœur.