Parler des droits de l'art, défendre son droit à l'expression libre et surtout exiger le droit absolu des artistes à occuper l'espace public, tels ont été les principales revendications auxquelles le collectif de Klem Cheraa et Amnesty international ont essayé de réclamer haut et fort par le biais de l'événement «Les droits de l'art, l'art des droits», qui s'est tenu jeudi, 1er novembre, sur l'avenue Habib-Bourguiba. A partir de 16h00, les rangs des adeptes des droits artistiques ont commencé à grossir à vue d'œil. Une sono est déjà installée, un micro est en place pour porter la voix de ces poètes de la rue. C'est dans cette grande avenue qui était la scène de plusieurs évènements historiques, cette même artère qui, à peine quelque heures avant, a connu la marche des forces de l'ordre demandant leur droit à la protection... que les vers et les mots ont pris place l'après-midi. Depuis le premier évènement de Klem Cheraa en juillet dernier, on s'était donné rendez-vous régulièrement pour des parties de «Street poetry» (paroles de rue). Cette initiative spontanée qui a pris de l'ampleur dans la capitale et qui a fait que le cercle des poètes s'élargissent de jour en jour, a pour objectif de se rassembler dans des lieux publics pour écouter des jeunes venus scander leur texte : poésie, slam, rap, ou simples tirades déclamées... Cette fois Klem Cheraa s'est associée à Amnesty internationale (section Tunisie) pour porter la voix des laissés-pour-compte. Et comme le précise Refka Bouallegue, membre du comité exécutif du bureau Amnesty International en Tunisie «Cet événement a été organisé suite au dernier rapport élaboré par Amnesty International concernant la situation de la liberté d'expression en Tunisie, et dans le cadre de la campagne internationale d'Amnesty pour la défense de la liberté d'expression». Et d'ajouter : «Le gouvernement doit prendre sa part de responsabilité vis-à-vis des dernières atteintes à la liberté de l'expression, à l'encontre des journalistes et des artistes». Ce rassemblement artistique ne se défile pas de sa portée politique, il peut paraître naïvement contestataire, parfois bon enfant, mais un fil conducteur nous retient du premier au dernier texte qu'il soit en arabe littéraire, en dialecte tunisien, en français ou en anglais dans un souffle révolutionnaire, parfois épique tantôt lyrique et romantique, mais tout le temps bouillonnant d'une énergie contestataire. Tous ne se retiennent pas pour narguer pouvoir, gouvernement, conformisme, conservatisme, bourgeoisie et à l'embourgeoisement, militantisme de posture... Les mots sortent de leurs bouches crues, vraies et tranchantes. Pour certains, l'élan est tel qu'on a du mal à contenir notre émotion. Avec une manifestation si simple telle que Klem Cheraa, l'underground s'approprie le lieu public, permet une certaine proximité avec la rue, aborde les passants, titille les curieux et crée les fondements de la culture alternative que tout le monde clame sans pour autant saisir le sens. Quelques poèmes, des vers par ci et des rimes par là, les jeunes portent une troisième voix, différente de la culture institutionnelle, et loin des dialogues de sourds des politiques. Une troisième voix acerbe, trempée dans du vitriol qui touche tout le monde et n'épargne personne. Klem Cheraa, un événement qui fait des petits dans les quatre coins du pays, est aussi et avant tout un appel à la créativité et à l'art dans tous ses états. *Titre emprunté à Léo Ferré