Par Néjib OUERGHI En l'espace d'un an d'activité, plutôt agitée que féconde, l'Assemblée nationale constituante (ANC) a dégagé chez l'opinion publique une image un peu floue et un sentiment mitigé. Les longs et fastidieux débats, qui se sont souvent focalisés sur des questions superflues, les coups de théâtre des constituants, qui ont transformé l'hémicycle de l'ANC en arène d'échange de propos aigres et, parfois, d'invectives, à propos de tout et de rien, leur absentéisme inquiétant et leur propension à perdre beaucoup de temps dans des polémiques stériles, sont autant de facteurs qui ont rendu encore plus ardue la transition de la Tunisie vers la démocratie. Résultat : la mission originelle pour laquelle les Tunisiens ont élu, le 23 octobre 2011, les 217 constituants semble aujourd'hui hors d'atteinte, du moins dans un intervalle jugé raisonnable. L'extrême lenteur qui a marqué la discussion du projet de loi organique relatif à l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) a délié les langues des plus sceptiques qui n'écartent plus l'hypothèse de voir l'ANC s'engluer jusqu'à 2014 et même au-delà dans le tourbillon de l'élaboration de la nouvelle Constitution et de l'organisation des prochaines élections. Au bout de quinze jours de discussions, à la limite cacophoniques, l'ANC a réussi la prouesse d'adopter six articles de la loi organique relative à l'Isie qui en compte 37. Que prendrait, dès lors, se sont demandés de nombreux observateurs, la discussion du projet de la Constitution dans sa globalité qui, à défaut d'une majorité confortable, nécessitera inévitablement l'organisation d'un référendum? Au rythme où vont actuellement les débats, cela pourrait durer probablement une éternité! Ces interrogations et ce questionnement, au demeurant légitimes, ont fini même par gagner la sphère politique et provoquer une vive polémique entre la présidence du gouvernement et la présidence de l'ANC. Cette dernière, et dans un sursaut d'orgueil, vient d'exprimer, haut et fort, les limites à ne pas franchir par l'exécutif et son refus de toute interférence dans son domaine de compétence. Elle est allée même dresser (sic) un bilan largement positif de la première année de l'action de l'Assemblée nationale constituante. Face à cet imbroglio, la sagesse commande, pourtant, un changement de cap, ou plutôt une rupture avec des méthodes d'action qui ont montré leurs limites. Pour espérer sortir du cercle vicieux politique, économique et social dans lequel se débat le pays, il va falloir opter pour des pistes qui favorisent des convergences constructives, un débat fécond qui unit et ne divise pas les Tunisiens. Qu'il s'agisse du modèle de société ou de développement, de la nature du régime politique, du contenu de la loi fondamentale..., les constituants ont la responsabilité historique de faire table rase de leurs querelles partisanes et idéologiques, et de choisir le consensus, seule voie à même de débloquer la situation, de restaurer la confiance et de donner une véritable perspective à la Tunisie. A l'évidence, tout n'est pas perdu et une lueur d'espoir, voire une prise de conscience, est en train de naître malgré tout. Dans leur diversité, les constituants ont pris, enfin, la mesure de l'ampleur de la tâche qui les attend, de la nécessité de revoir, de fond en comble, leurs méthodes de travail et de l'urgence de cesser de gaspiller du temps. La révision du règlement intérieur de l'ANC serait probablement la réponse, la bonne, pour accélérer, un tant soit peu, le traitement des dossiers en suspens et la mise en place des instances et des institutions qui auront à jouer un rôle déterminant dans le processus de transition démocratique de la Tunisie. Le rôle imparti aux groupes parlementaires dans la conduite des débats devrait nous épargner bien des longueurs et des polémiques et orienter, enfin, tous les efforts vers le vif du sujet. La définition d'une feuille de route, claire et définitive, se présente également comme le moyen le plus sûr pour lancer un signal qui sécurise et conforte les Tunisiens, aujourd'hui rongés par le doute et le flou. La restauration de la confiance est, assurément, la planche de salut pour la révolution tunisienne et le ferment qui permet le mieux de faire éclore et revigorer les grands principes de la liberté et de la dignité que la furie des jeunes a réussi à faire valoir. Un an après, on est en droit aujourd'hui de s'attendre à un meilleur rendement de l'ANC, à une plus grande efficacité dans le traitement des dossiers chauds et à un sens affirmé de la responsabilité des constituants qui sont redevables aux Tunisiens d'une mission et d'un projet qui nous feraient oublier définitivement les affres des années de braise. «La responsabilité, pense opportunément Winston Churchill, est le prix à payer du succès». La révolution du 14 janvier a besoin, en cette phase cruciale que connaît notre pays, de réussite pour chasser de l'esprit des Tunisiens le désenchantement et la déception.