Par Néjib OUERGHI La cohue tumultueuse qui a entouré l'élection, par les membres de l'Assemblée nationale constituante (ANC) le 24 juillet, de M. Chedly Ayari, en tant que nouveau gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), le semblant d'harmonie de la Troïka qui a accompagné la célébration du 55e anniversaire de la République et la démission fracassante du ministre des Finances ont dominé le débat public cette semaine. A l'évidence, aujourd'hui, ni la nomination de M. Ayari à la BCT , ni l'entente retrouvée et observée dans l'enceinte de l'ANC entre les membres de la coalition au pouvoir et, encore moins, le départ inattendu de M. Houcine Dimassi du gouvernement, n'ont eu raison du flou qui persiste ou de l'inquiétude qui perdure. Cette dernière décision, et quelle que soit la qualité des arguments contenus dans la lettre de démission, nous met devant une grave évidence: le jeu périlleux qui consiste à confondre visées électoralistes et gestion des affaires publiques. Succomber à cette logique, dans cette phase décisive que connaît notre pays, équivaut à mettre le feu à la paille. En effet, mettre en péril les équilibres financiers, il est vrai fragiles, ne peut que précipiter le pays dans l'inconnu, voire dans une spirale dont les conséquences sont aussi néfastes que fâcheuses. Sur un autre plan, si l'élection du successeur de M. Nabli à l'institut d'émission a donné lieu à un débat qui a transformé, deux jours durant, l'ANC en une véritable arène qui nous a fait sortir, pour la première fois, de la logique implacable de la discipline partisane dans laquelle se sont souvent réfugiés les constituants, la célébration de la fête de la République a été une sorte de parade pour montrer un retour à la concorde dans les rangs de la Troïka qui, pour la circonstance, semble avoir transcendé les problèmes qui ont failli l'ébranler. En effet, hormis de vagues déclarations d'intention et des annonces qui n'ont surpris personne, on n'a pas eu droit à une véritable feuille de route, claire et précise, sur le cheminement que doit suivre la Tunisie dans son processus de transition vers la démocratie, ni des engagements solennels qui mettraient un terme à l'attentisme et au flou qui persistent. La question de fond, qui risque de devenir une nouvelle pomme de discorde et de mettre de nouveau la Troïka à rude épreuve, a été en quelque sorte éludée. On a évité d'évoquer ouvertement les questions qui risquent de fâcher, notamment la nature du régime pour lequel notre pays optera. Parlementaire, comme le souhaite Ennahdha notamment, ou semi-présidentiel, comme le réclament d'autres formations politiques. A défaut d'un consensus, l'on a plaidé pour l'argument de la concorde comme préalable pour trouver une plateforme qui sortira ce débat du cercle vicieux qui peut l'engluer. A cet effet, les discours des trois présidents, à l'occasion du 25 juillet, sont restés muets à ce sujet. Même si on a décelé quelques discordances sous-jacentes qui ont revêtu des appels au respect de l'équilibre et de la séparation entre les pouvoirs et leur contrôle respectif, à l'édification d'un nouveau système politique et d'une République qui accorde la souveraineté au peuple, à la préservation des intérêts de la nation et à la nécessité d'élaborer une constitution qui bénéficie du consensus le plus large, rien de palpable n'a été perçu. Cela concerne essentiellement la nature du système politique. Va-t-on poursuivre l'expérience actuelle où le président de la République est dépouillé, ou presque, de tout pouvoir et où le chef du gouvernement devient le centre de tous les pouvoirs? Ou bien, va-t-on se diriger vers un régime mixte qui emprunte au régime présidentiel l'investiture au suffrage universel du président et au régime parlementaire, la responsabilité du gouvernement devant le parlement? C'est de la réponse à ces interrogations et des arbitrages qui seront trouvés à ces choix difficiles, que dépendra la mise en œuvre effective de toutes les étapes qui vont suivre. A ce niveau, avec la multiplication des inconnues, l'organisation des élections le 20 mars, ou au printemps 2013, est-elle matériellement possible? Difficile de préjuger. Cette opération, complexe et lourde du point de vue organisationnel, reste tributaire du respect de l'ANC du calendrier qu'elle s'est assigné. Aujourd'hui, le projet tarde encore à voir le jour et la première mouture annoncée pour le 15 juillet se fait toujours attendre. Aussi, si un consensus sur le projet, dans sa globalité, fait défaut, le recours à un référendum ne peut qu'hypothéquer davantage cette échéance. Enfin, la nouvelle Isie (Instance supérieure indépendantes pour les élections) est au stade de projet. Le gouvernement vient à peine, le vendredi, de le soumettre à l'ANC qui se trouvera, une fois encore, obligée de lui consacrer des séances de débat qui s'annoncent électriques. Le choix par l'Assemblée constituante des membres de l'Isie, de son président et l'élection de la moitié de ses membres vont replonger l'Assemblée dans un tumulte qui peut être comparable à celui qui a accompagné la nomination du nouveau gouverneur de la BCT. Toutes ces inconnues montrent l'urgence d' établir une feuille de route claire et consensuelle qui marquera la détermination de tous à placer les intérêts de la Tunisie au-dessus de toute autre considération, à transcender les désaccords et à rester en cohérence avec les principes et objectifs de la Révolution. C'est par ce truchement, qu'on pourra donner une véritable impulsion à la transition de la Tunisie vers la démocratie, qu'on arrivera à respecter les engagements pris et qu'on offrira au peuple tunisien en 2013 l'opportunité d'exprimer pleinement sa citoyenneté et sa souveraineté.