Visiblement, le discours du président de la République, M. Moncef Marzouki, prononcé vendredi dernier, a secoué la place politique. Bref rappel des faits : le président Marzouki y avait appelé à la formation d'un mini-gouvernement de compétences, «qui ne soit pas fondé sur la politique de quotas», chargé des dossiers de développement. En pleine crise due aux douloureux événements de Siliana, Marzouki avait tiré la sonnette d'alarme : «Le pays se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins», avait-il asséné sur un ton dramatique. Depuis, la Troïka semble «sens dessus de souk». Dirigeants et partisans du mouvement Ennahdha sont furieux. Et ne le cachent point. Leurs déclarations en disent long sur leur ressentiment et leur courroux à l'endroit du chef de l'Etat. Abdellatif El-Mekki, ministre de la Santé et dirigeant nahdhaoui de premier plan, a affirmé que le remaniement gouvernemental engloberait également la charge présidentielle. Il a même précisé que «nul n'est sacré». Des propos repris par Sahbi Atig, chef du groupe parlementaire d'Ennahdha à l'Assemblée constituante. A l'entendre, les sphères dirigeantes de son parti décideront incessamment de la portée du remaniement escompté. De son côté, Walid Bennani, constituant nahdhaoui, soutient mordicus que son mouvement ne lâchera point les ministères de souveraineté (Justice, Intérieur et Affaires étrangères). Ils s'y agrippent bec et ongles. Dans les coulisses, certains parlent déjà du président de la République à l'imparfait. On avance même les noms de ceux qui sont supposés lui succéder. Des alliés d'Ennahdha bien évidemment. Le Congrès pour la République (CPR), parti du président, semble plutôt discret. De nombreux dirigeants du parti sont intervenus sur les plateaux audiovisuels pour «préciser», voire affiner, les propos présidentiels. On feint de temporiser. Mais la gêne est tenace. En fin de compte, le décor semble planté pour les mois à venir. Après avoir profité des faveurs du mouvement Ennahdha, le président Moncef Marzouki s'en démarque ouvertement. Et prend l'opinion à témoin en se rangeant de son côté dans la stigmatisation de l'attitude gouvernementale lors de la crise de Siliana. Lors des élections pour la Constituante du 23 octobre 2011, Moncef Marzouki et ses colistiers avaient bénéficié du solide appui multiforme et même des consignes de vote d'Ennahdha. Maintenant, la donne a changé. L'exercice du pouvoir a transfiguré les protagonistes. En les usant. Et en les dressant les uns contre les autres. Logique de chapelles et de chasses gardées oblige. D'alliés, ils se sont mués en frères-ennemis. Désormais, ils ne regardent plus dans la même direction. Et en point de mire, se profile la dernière ligne droite avant les élections présidentielle et législatives de 2013. Chacun s'y prépare à sa manière. Et affûte ses couteaux. Le mouvement Ennahdha sait pertinemment qu'il ne peut plus compter sur ses alliés de la veille. Le CPR et Ettakatol sont durement fragilisés par les scissions et les désertions. Parler de Troïka n'a plus de sens dans l'avenir. Et Ennahdha est parti à la recherche de nouveaux alliés. Et peine à les dénicher. Pour l'heure, à défaut d'alliances solides, le parti dominant de la coalition gouvernementale gère bien les inimitiés. Le président Marzouki sait, lui, qu'il n'est plus le poulain favori d'Ennahdha pour la prochaine élection présidentielle. Il s'assume et y va en solo. Seul, face à son destin. Les tragiques événements de Siliana lui ont offert une occasion en or pour se désolidariser d'Ennahdha et profiter d'une probable embellie auprès de l'opinion. Et toc ! Le coup est parti. Pour les observateurs, ces frictions et passes d'armes témoignent de l'immaturité de la classe politique aux commandes de l'Etat, toutes instances confondues. Et n'augurent rien de bon. Bref, la guerre intestine se poursuit. Et la rédaction de la nouvelle Constitution cale. En marge des guerroyades stériles et des luttes de clans navrantes.