Samira F. (54 ans) est une prostituée assagie. Mèche grise en bataille, allure d'adolescente et rondeurs en perte de vitesse, elle refuse d'admettre, tel un nostalgique inguérissable, que son corps a pris un coup de vieux. «De beaux restes, comme vous voyez, n'est-ce pas ?», nous lance d'emblée, avec un sourire derrière lequel se cachent les méandres d'une longue histoire avec le plus vieux métier du monde. Le temps de griller une cigarette et voilà qu'elle se prête enfin au jeu des souvenirs. «Tout a commencé, se remémore-t-elle, au lendemain de mon divorce devenu inévitable, voire un mal nécessaire au terme d'un mariage oscillant entre le beau fixe et les tempêtes. Dans la foulée, j'ai perdu mes parents dont la mort m'avait beaucoup bouleversée. Et puis, mon frère était en prison. Dans ma solitude, je n'avais plus personne à mes côtés. Je ne comptais plus les jours de cafard, les nuits cauchemardesques, jusqu'au jour où j'ai pris mon courage à deux mains, en décidant de refaire ma vie. J'étais, à l'époque, jeune et j'avais un corps du tonnerre qu'il aurait été stupide de ne pas monnayer, surtout qu'aucun autre soupirant n'est venu frapper à ma porte pour demander ma main. Et puis, un jour, au hasard d'une promenade au Belvédère, j'ai croisé une ancienne camarade de classe. Des retrouvailles si émouvantes que celle-ci, dès qu'elle a appris que j'ai divorcé et que je vivais seule, m'a proposé d'aller lui tenir compagnie chez elle. Tout s'est passé si vite que je n'ai pas eu le temps de réaliser que mon amie était, elle aussi, divorcée. Me conduisant à bord de sa voiture jusqu'à son appartement, elle me dit, tout de go : ‘‘Ecoute Samira, qu'il aille au diable, ton ex-époux. Tu as un corps qui fait saliver les hommes, et tu n'as donc aucune raison de te morfondre ou d'aller pousser la porte d'un psychiatre. Profite de ta vie, ma petite, et tu n'auras pas à le regretter, je te jure». La néophyte devenue diablesse Bonjour la reconversion, salut l'aventure. 5 sur 5 pour ce message à la teneur mielleuse et rêveuse. Ainsi, du jour au lendemain, Samira a fait son entrée en lice sur la scène de la prostitution, et advienne que pourra ! «Dur, très dur fut pour moi le début de l'expérience», reconnaît-elle. «Car, expliquera-t-elle, j'étais la néophyte par excellence. C'est un monde qui m'était totalement étranger. Mais, la maturité de ma copine m'a vite aidée à m'imposer comme étant un atout incontournable dans les ébats sexuels organisés sous le toit de l'appartement que sa tenancière avait transformé en club de rendez-vous. C'est là que nous recevions, elle et moi, des hommes de différents standings et de différentes nationalités qui venaient s'y défouler, contre, bien sûr, espèces sonnantes et trébuchantes. Et cela a fait recette, mais...». Retenant ses larmes, Samira, devenue subitement pâle, s'offre un moment de répit, comme pour se protéger contre l'ouragan des mauvais souvenirs qui gronde dans sa tête. Revenant à la charge, elle raconte, timorée et presque en sanglots, les péripéties suivantes de son odyssée : «Dans ce métier où l'impressionnant côtoie le bizarre, et où chaque nuit ‘‘ratée'' me donnait des maux d'estomac, j'ignorais bêtement qu'il fallait aussi compter avec les imprévus. Et ce qui devait arriver arriva, lorsqu'une nuit de triste mémoire, nous fûmes surprises par une descente policière dans notre fief. Arrêtées, ils nous embarquèrent, ma copine et moi, ainsi que deux jeunots qui partageaient l'orgie, au poste de police. J'en ai eu pour six mois de prison. La plus grave erreur de ma vie, je l'ai commise plus tard, lorsque, au lendemain de ma libération, j'ai vite retrouvé goût à la prostitution. Comme si de rien n'était. Ma copine étant encore incarcérée, je n'avais plus qu'à voler de mes propres ailes. Et pour se tirer des ennuis financiers, j'ai dû engager un parrain, un pro en matière de gestion des réseaux de protitution. Hélas, notre ménage n'a pas pu tenir la route au-delà de trois mois pour s'achever en queue de poisson, au terme d'une altercation qui m'a poussée à le poignarder, et c'est par miracle qu'il n'est pas passé de vie à trépas. N'empêche que, arrêtée plus tard, j'en ai eu pour cinq ans de prison ferme. C'en était fini pour moi. Non je ne referai plus la même chose, c'est juré, et que Dieu me pardonne».