Par Habib BOUSSAADIA Trop de débats ne peuvent que nuire au débat : depuis le 14 janvier, avec le départ de Ben Ali, nous assistons presque quotidiennement à des débats, pour ne pas dire des polémiques, sur les différentes chaînes de télévision. Le tableau est stéréotypé : on a un plateau avec un animateur cherchant désespérément à calmer des politiciens de l'opposition face à des membres de la Troïka. Les premiers critiquent la lenteur délictueuse du gouvernement et les seconds répondent par les exclamations effarouchées d'une sainte abusée ! L'opposition dénonce la dérive autoritaire du régime ou le rôle ambigu joué par la ligue de protection de la révolution et les représentants de la Troïka tentent des plaidoyers plus souvent inconsistants que robustes. Le problème est qu'avec le temps, on se lasse de ces querelles chroniques, de ces alibis insipides et on se demande comment font ces ministres ou conseillers de la Troïka pour concilier leur morale avec leur devoir professionnel. Ces ministres agitent invariablement la «théorie du complot» pour expliquer leurs déboires mais omettent de préciser que leur marge de manœuvre est justement réduite aux recommandations de leur guide spirituel qui n'a malheureusement aucune vision politique nette pour l'avenir, simplement un projet sournois de rester aux commandes de l'Etat en créant des tensions sociales destinées à faire diversion et à justifier les retards et les atermoiements de la Troïka. Ennahdha «vainqueur» des élections d'octobre 2011 joue les prolongations, montrant un malin plaisir à narguer et l'opposition et les citoyens, avec l'assentiment du CPR et Ettakatol qui le voient agir arbitrairement en feignant la cécité. Les mécanismes ou les instances censés renforcer le processus démocratique ont été oubliés volontairement au profit de procédés «rcdistes» : nomination par le gouvernement des délégués, des gouverneurs, des commis de l'Etat issus de la mouvance «nahdhaouie», mise en veilleuse des projets de création des instances indépendantes pour les futures élections, l'audiovisuel, la justice et surtout la justice transitionnelle censée assurer un climat de sérénité sociale. Ennahdha réitère en somme l'ère Ben Ali dans un mode plus machiavélique: tentative de contrôle des médias, soutien à une milice ayant un statut d'association civile avec une étiquette séduisante et attrayante: «Ligue de protection de la révolution». Cette dernière est en réalité une «Ligue de provocation des récalcitrants» et a été défendue bec et ongles par nos ministres de la Troïka car son objectif, semble-t-il, est d'évaluer les réalisations et surtout les dépassements relevés depuis la révolution. Certes, peut-être qu'ils ont raison, mais je rappelle à ces mécènes qu'on n'a pas vu les LPR manifester et rappeler à l'ordre pour déviation des objectifs de la révolution. Le maître d'Ennahdha qui dans une vidéo parlementait et faisait des confidences à ses enfants salafistes : la révolution n'a pas été faite pour établir une république islamique à ma connaissance ; c'est le minimum qu'on puisse lui rappeler ! Le ministre de la Justice pour «conflit d'intérêts» : ne serait-il pas plus sage (ou plus rentable ?) que son épouse démissionne de son cabinet d'avocat au moment où son mari est intronisé patron d'une justice orpheline d'une instance indépendante ? Le ministre des Droits de l'Homme pour lui rappeler qu'il doit être moins présent sur les plateaux de télévision et plus dans son ministère pour promouvoir la dignité humaine bafouée allègrement après la révolution ! Le super conseiller du président de la République pour avoir prêté une voiture de fonction de l'Etat tunisien à son gendre : la révolution est censée mettre fin à ces pratiques népotiques ! L'Assemblée constituante pour son vote en faveur de l'intronisation d'un gouverneur de la Banque centrale ayant servi dans le passé Ben Ali ! La Tunisie après sa révolution a besoin de compétences moins liées avec son passé dictatorial! On peut d'ailleurs rappeler à l'occasion aux membres de cette prestigieuse assemblée et à sa vice-présidente leurs salaires indécents pour une rentabilité négative ! Les salafistes, en raison de leurs attaques barbares de l'ambassade américaine et —ou des mausolées : même si on est opposé à leur politique— la révolution ne nous autorise pas à attaquer l'ambassade de ce pays ami sous prétexte qu'un de ses citoyens a diffusé un film offensant pour le Prophète, ni aussi de saccager des lieux de culte car non conformes à notre islam ! Dieu n'a mandaté personne pour le faire et Il punira qui Il veut quand Il le veut ! Le ministre de l'Intérieur pour agrément d'utilisation de «chevrotine qatarie», lors des événements de la ville de Siliana : après la révolution l'abrogation du tir à balles réelles n'implique pas le recours à un substitut non moins dangereux pour la population ! En conclusion, je dirais qu'une année de gouvernance Ennahdha a été riche en enseignements pour tout le monde. 1- Transformer au forceps la société tunisienne s'est avéré une mission quasi impossible pour Ennahdha et ses deux bras armés, à savoir les salafistes et les fameuses ligues de protection de la révolution. 2- Le processus démocratique est sur les rails grâce à l'attitude lucide et responsable de certains responsables politiques : l'attitude brave de l'ex-ministre de la Défense Ridha Grira qui a prôné d'appliquer la Constitution le 14 janvier au soir, alors que la majorité des Tunisiens pensaient que l'armée ne tarderait pas à prendre le pouvoir après la fuite du président. Le patriotisme d'un vieux sage (Béji Caïd Essebsi) qui a tout mis en œuvre pour mener à bien les élections d'octobre 2011. La maturité politique d'un Néjib Chebbi qui a reconnu sa défaite, et félicité ses adversaires politiques sans protestation ni propos sulfureux contre les gagnants ! La résistance héroïque des médias ou des magistrats devant les nombreuses et vaines tentatives d'assujettissement lancées par la Troïka ! 3- Faire une coalition avec Ennahdha n'est pas dénué de risque et on laisse souvent des plumes : Ettakatol est en miettes et son président est inscrit aux abonnés absents, le CPR n'est pas en situation plus enviable et ses membres feraient mieux de parler moins et de se taire beaucoup.