Hier, à la commission de la réforme administrative et de la lutte contre la malversation, Imène Bahroun, président-directeur général de la Télévision, a vécu une après-midi difficile, pénible et embarrassante. Les membres de la commission n'ont pas ménagé leur invitée et ses principaux collaborateurs venus leur présenter l'état des lieux au sein de la Télévision tunisienne, deux ans après la révolution du 14 janvier 2011. Même si la patronne de la TV a donné le ton, dès le départ, en soulignant que «la création d'une nouvelle chaîne de TV est plus facile que l'assainissement ou la réforme de la chaîne actuelle», reconnaissant ainsi que la mission qui lui a été confiée est difficile, les constituants n'ont pas mâché leurs mots pour dire, presque à l'unisson, «la TV tunisienne» n'est pas à la hauteur de la révolution et pour crier fort : «Nous ne nous retrouvons pas dans cette télé dont les animateurs et les journalistes ne reflètent aucunement les objectifs de la révolution et les ambitions des Tunisiens». «Ils ont beau être, pour leur majorité écrasante, des anciens du régime déchu, ils en rajoutent, malheureusement, en faisant fin des règles les plus élémentaires de la déontologie professionnelle, de l'objectivité et du respect de l'opinion contraire. Durant plus de cinquante ans, ils ont fait l'éloge des deux régimes déchus, aujourd'hui, ils ont changé leurs fusils d'épaule pour dénigrer systématiquement le gouvernement actuel», ont-ils répété en chœur. Les critiques assez virulentes des constituants ne se sont pas limitées à la politisation exagérée des journalistes TV en choisissant de soutenir «aveuglement certaines parties et certains politiciens qui ont tiré profit de l'ancien régime et qui continuent à occuper le devant de la scène médiatique contre la volonté de ceux qui ont fait la révolution et qui ont chèrement payé l'accession des Tunisiens à la dignité et à la liberté». Leurs remarques ont touché «la pléthore de journalistes et d'animateurs qui sont grassement payés par le contribuable et qui ne daignent même pas mettre les pieds à la télé, la rébellion manifeste de ceux qui exercent au service des informations qui refusent carrément les recommandations de la direction générale et la réélection abusive et aberrante de ceux qui participent aux débats télévisés, les mêmes visages depuis le déclenchement de la révolution». Où est le code conduite tant attendu ? Le constituant Kamel Ben Amara s'interroge sur l'absence de code de conduite qui, semble-t-il, «a été renvoyé aux calendes grecques bien qu'il y ait eu un accord de coopération avec la BBC afin de s'inspirer de son expérience dans ce domaine». Il s'étonne également du nombre pléthorique des agents et fonctionnaires de la TV : «1.300 agents y exercent alors qu'un seul agent est chargé de la programmation. Pis encore, le téléspectateur de la chaîne nationale a le sentiment que les journalistes du Journal parlé ne font qu'à leur tête et ignorent toutes les critiques qui leur sont adressées y compris les remarques de l'administration». De son côté, Hédi Brahem se demande : «Où est la TV qui défend la patrie, qui montre le vrai visage de la Tunisie sans parti pris ni arrière-pensées ? Il m'est pénible de révéler que l'un des animateurs d'une émission télévisée à laquelle j'ai été invité m'a répondu texto : ‘‘Nous ne montrons que les lacunes ou les insuffisances, les acquis réalisés ne nous intéressent pas''». Quant à Baya Jaouadi, elle déplore l'injustice pour ce qui est du choix des constituants appelés à participer aux débats. «Bien que je représente Sidi Bouzid, considérée comme la région où il y a le plus d'injustice et de marginalisation à l'époque révolue et à l'époque actuelle, je n'ai jamais eu la chance d'en parler à la télé. Il est impératif que justice soit faite entre les constituants, les régions et les partis politiques». «Y a-t-il certains intérêts qu'il importe de préserver à n'importe quel prix ? Nous ne voulons pas de l'information show et nous sommes inquiets de voir les Tunisiens tourner le dos à la télévision nationale et chercher à s'informer sur leur pays auprès des chaînes étrangères», s'indigne-t-elle. Ameur Laarayedh abonde dans le même sens relevant que «la télévision tunisienne n'a pas célébré le deuxième anniversaire de la révolution. On avait le sentiment qu'il y avait une touche de tristesse à cette occasion. Il est aberrant, inadmissible, voire grave qu'une journaliste clôture son émission, en septembre dernier, en disant texto : «‘‘Dans l'attente que la liberté soit de retour en Tunisie, je vous souhaite une bonne nuit''». Et le constituant d'ajouter : «La télévision a besoin d'une réforme profonde et que son rendement soit à la hauteur de ce que nous attendons d'elle. Pour moi, le défi n° 1 que la chaîne nationale a le devoir de relever est bien celui du professionnalisme, de la diversité et de la pluralité. Ce sont bien ces trois exigences que nous voulons voir triompher dans notre télévision. Pour le constituant Ali Houiji, il est une question qui commande une réponse urgente : «La TV tunisienne est-elle condamnée à demeurer éternellement sous la coupe des Rcdistes ? A quand l'ouverture des dossiers de la corruption relevant de l'époque du président déchu et de ceux qui sont survenus après la révolution ?». Le même constituant s'étonne également de l'opération de vol de certains équipements qui s'est produite dernièrement au sein de la télévision et évoque les sommes faramineuses servies en tant que primes de production au profit de «producteurs qui ne produisent rien». Pour une TV réconciliée avec les Tunisiens Rafik Tlili commence son intervention par un dicton selon lequel «les gens suivaient auparavant la religion épousée par leurs gouvernants. Aujourd'hui, l'on peut dire que les gens sont à l'image de leur télévision». «Malheureusement, après plus de 55 ans de chiffres truqués et d'informations erronées, voire fabriquées, notre TV ne s'est pas encore débarrassée des séquelles du passé et continue à tourner le dos aux véritables préoccupations du citoyen en ignorant totalement les propositions et les critiques qu'avancent les membres de la Constituante et en mettant en exergue les sujets qui divisent et en ouvrant continuellement ses studios aux voix de la discorde». Idem pour Mokhtar Lamouchi qui s'adresse directement à la P.-d.g. de la télévision pour lui demander : «Avez-vous une vision, un projet propre à réconcilier la télévision tunisienne avec l'identité arabo-islamique des Tunisiens ? Le travail de sape et de marginalisation entrepris par les forces anti-révolutionnaires encore présentes et actives au sein de notre télé va-t-il se poursuivre à l'infini ?». Le Snjt s'insurge contre les décisions de Meherzia Laâbidi Le bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) a dénoncé, hier, la décision de la vice-présidente de l'Assemblée nationale constituante (ANC), Meherzia Laâbidi, d'interdire aux journalistes de se déplacer dans le hall et les allées de l'Assemblée. «Ce genre de pratiques inconvenantes, souligne un communiqué du bureau exécutif, est de nature à limiter le champ d'action des journalistes et va à l'encontre de leur liberté de communication avec les élus pour transmettre au public ce qui se passe dans les coulisses de l'ANC». Il considère que la décision de Meherzia Laâbidi est une «atteinte aux journalistes et au droit du peuple tunisien à l'information». Le Snjt appelle le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar, et tous les constituants à «condamner les agissements répétés de plusieurs constituants, appartenant en particulier au groupe Ennahdha, à l'encontre des journalistes». Il les exhorte «d'assurer les conditions adéquates aux journalistes afin de leur permettre d'accomplir au mieux leur devoir professionnel». Par ailleurs, le bureau exécutif du syndicat condamne le «comportement brutal et criminel de certaines milices appartenant au mouvement Ennahdha qui se font appeler ligue de protection de la révolution à Kairouan», et qui ont agressé les journalistes de radio «Sabra FM» lors de la couverture des protestations dans la région. Il demande au ministère public d'ouvrir une enquête contre ces agresseurs «hors-la-loi». De son côté, le Centre de Tunisie pour la liberté de la presse a également appelé «à revenir immédiatement sur la décision de Meherzia Laâbidi» qui, estime-t-il dans un communiqué «contrevient à la loi organisant le travail de l'Assemblée et cible le droit d'accès à l'information».