Par Hmida Ben Romdhane Si l'on doit résumer, par un mot, la vie relativement brève d'Hugo Chavez (il est mort à l'âge de 58 ans), subversion est le terme le plus approprié. Ce mot n'a pas de connotation négative pour le défunt président vénézuélien, bien au contraire. Dans une interview à l'Associated Press en 2007, Chavez a affirmé : «Je suis encore subversif. Je pense que le monde entier doit être subverti». Il a commencé, très jeune, la bataille qui devait le mener à la présidence en 1998. Il n'était encore qu'un simple «soldat rebelle», quand il avait choisi sa voie et ses héros. La voie était le socialisme, et les héros s'appelaient Simon Bolivar, Fidel Castro et Ernesto «Che» Guevara. Dans l'histoire tumultueuse de l'Amérique latine, Chavez est la première personnalité à avoir surmonté tous les barrages dressés devant lui et résisté à tous les complots intérieurs et extérieurs fomentés contre lui, et à se faire élire démocratiquement à la magistrature suprême du Venezuela. Avant lui, l'unique personnalité d'obédience socialiste à se faire élire démocratiquement en Amérique latine, était le Chilien Salvador Allende, renversé peu après son élection par un coup d'état militaire fomenté par le général Pinochet, le 11 septembre 1973, avec la bénédiction, pour ne pas dire l'aide, de Washington. Les Etats-Unis auraient bien aimé voir Chavez subir le même sort qu'Allende. Mais ils n'avaient rien pu faire. Les temps ont changé, et l'Amérique latine s'est transformée progressivement d'«arrière-cour» au service du «grand frère» du Nord à un continent «indépendant de l'hégémonie américaine». Avec les changements majeurs intervenus dans plusieurs pays latino-américains, comme le Venezuela, le Pérou ou encore le Brésil, Cuba a cessé d'être l' «île paria» pour s'intégrer dans le nouveau tissu économico-politique du continent. Et Chavez, il faut bien le dire, a joué un grand rôle dans la fin de l'isolement cubain, rendant ainsi plus caduc encore l'embargo américain en vigueur depuis plus d'un demi-siècle. Sur le plan intérieur, Hugo Chavez a consacré les 14 ans de sa «présidence subversive» à faire bénéficier le peuple vénézuélien des richesses pétrolières de son pays. Il a pris le parti de la majorité de son peuple, en utilisant la manne pétrolière pour améliorer les conditions de vie des larges couches de la population sur les plans de l'éducation, de la santé et de l'habitat. Et c'était le moins que puisse faire un président qui a passé son enfance dans une demeure insalubre dans l'un des nombreux bidonvilles de Caracas. Le peuple était reconnaissant. Il l'avait élu trois fois successives et, 14 ans après sa première élection, sa popularité était au zénith. Tout au long de sa carrière de «président subversif», Chavez a eu de gros problèmes avec «l'empire», terme qu'il utilise souvent pour désigner les Etats-Unis d'Amérique. Le problème de base qui a empoisonné, pendant quatorze ans, les relations entre Washington et Caracas, réside dans le choix de Chavez de faire passer les intérêts de son peuple sur celui des sociétés pétrolières américaines. En nationalisant l'industrie pétrolière du Venezuela, et en orientant les richesses engendrées par cette industrie vers l'amélioration des conditions de vie du peuple vénézuélien, Chavez a frappé douloureusement les intérêts des grandes compagnies pétrolières américaines, chose que Washington ne peut accepter. Une grande inimitié s'est développée entre Chavez et l'«empire», inimitié nourrie à longueur d'années par les discours incendiaires du président vénézuélien qui n'hésitait pas qualifier George W. Bush de «diable», ou à affirmer que «l'endroit pue le soufre» quand il a pris place à la tribune des Nations unies pour prononcer son discours devant l'Assemblée générale, juste après que le président américain eut terminé le sien. Mais ce qui agaçait les Etats-Unis, ce sont les bonnes relations que Chavez a nouées avec des pays aussi lointains que la Russie et la Chine, et surtout les alliances qu'il a tissées avec Cuba, l'Iran, la Syrie et tous les autres pays ou mouvements qui ne sont pas en odeur de sainteté avec Washington. Mieux encore, ou pire pour Washington, Chavez a fait de la cause palestinienne sa propre cause, et a beaucoup fait pour accroître sa popularité en Amérique latine. Si l'on en juge par la réaction du président Obama, la mort de Chavez semble être un soulagement pour les Etats-Unis. Le président américain n'a même pas présenté ses condoléances pour la mort d'un homme qui a le soutien de la majorité de son peuple. Il s'est contenté d'un communiqué laconique dans lequel il a affirmé son «soutien au peuple vénézuélien», et son espérance de pouvoir entretenir «des relations constructives» avec le prochain gouvernement. Evidemment, le «peuple vénézuélien» que soutient Obama n'est pas celui qui est descendu en masse dans les rues des villes vénézuéliennes dès l'annonce du décès pour pleurer son héros. Le «peuple vénézuélien» dans l'esprit d'Obama est celui qui a tenté de renverser Chavez en 2002 par un coup d'état avorté. Une chose est certaine, après la disparition du fervent défenseur du «socialisme du 21e siècle», les grandes manœuvres à Washington ne vont pas tarder à être lancées pour tenter de «récupérer» le Venezuela et réoccuper le terrain perdu en Amérique latine.