Par Hmida BEN ROMDHANE Au début de ce mois, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, était en Arabie saoudite où il s'est longuement entretenu avec le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al Faïçal. Bien entendu, les deux sujets qui tiennent à cœur aux deux alliés sont la Syrie et l'Iran et, effectivement, les discussions entre les deux ministres ont porté essentiellement sur ces deux pays. Concernant la Syrie, Kerry a déclaré à la presse que lui et son collègue saoudien ont discuté «du besoin urgent de mettre un terme à la guerre civile sanglante en Syrie, de promouvoir une transition pacifique et de fournir au peuple syrien la sécurité, la justice et la liberté qu'il mérite.» Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis et l'Arabie saoudite font état de leurs désirs de voir le peuple syrien vivre le bonheur qu'assurent la paix, la sécurité et la liberté. Seulement, si l'on se réfère à l'histoire récente, on sera en droit de dire que le peuple syrien aurait beaucoup plus de chances de vivre tranquille et de résoudre plus facilement ses problèmes, si les Etats-Unis et l'Arabie saoudite se tenaient à une distance respectable et n'interféraient point dans ses affaires intérieures. Dans les années 1980, les Etats-Unis et l'Arabie saoudite s'étaient alliés et avaient dépensé des milliards de dollars dans le but d'apporter au peuple afghan la paix, la liberté et la justice. Trente ans après le début de cette «alliance pour la paix et la liberté» de l'Afghanistan, ce pays est encore déchiré par la guerre et son peuple est nettement moins libre, moins sécurisé et plus pauvre qu'il ne l'était dans les années 1970-80. Il est tout de même extraordinaire qu'en dépit des centaines de milliards de dollars d'argent saoudien et américain dépensé en Afghanistan, ce pays ne produit jusqu'à ce jour pratiquement rien d'autre que l'héroïne, dont il est le premier producteur et exportateur au monde. C'est que tout cet argent ne servait pas à l'investissement ou à la production économique, mais à l'armement et au financement de la guerre. C'est ainsi que, à un certain moment et en plus de l'héroïne, l'Afghanistan était devenu le premier producteur et exportateur de terrorisme au monde. Au vu du développement du désastre afghan sur les trente dernières années, on peut affirmer avec certitude que, si Les Etats-Unis et l'Arabie saoudite étaient restés loin de ce pays, les Afghans seraient aujourd'hui dans de bien meilleures conditions. Mais il y a un autre exemple. Au début de ce siècle, les Etats-Unis et l'Arabie saoudite se sont alliés encore, mais cette fois pour apporter «la paix, la liberté et le bonheur» au peuple irakien. On sait ce que cette alliance a apporté à ce peuple. Dix ans après, presque jour pour jour, la mort et la destruction continuent d'être le lot quotidien des Irakiens. Dix ans après l'effroyable guerre de Bush et ses alliés contre le régime de Saddam, il ne se passe pas un jour sans qu'une bombe ou une voiture piégée n'explosent en Irak. Il y a quelque chose de malsain dans cette alliance des Etats-Unis avec deux dictatures, l'Arabie saoudite et le Qatar, pour la démocratie en Syrie. Le grand chantre de la démocratie et de la liberté dans le monde n'a jamais proféré la moindre critique contre les exactions de toutes sortes commises par la dynastie des «Al Saoud» contre les Saoudiennes et les Saoudiens. Le même grand chantre de la démocratie et de la liberté dans le monde n'a pas jugé utile de faire la moindre critique contre le Qatar dont la justice a condamné un poète à la prison à perpétuité pour avoir écrit un poème qui a déplu à l'émir. Pourtant, s'ils ouvrent un peu les yeux, les Américains constateront qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre Bashar Al Assad et Hamad Bin Khalifa Al Thani. Ils sont tous deux dictateurs et ont tous deux remplacé leurs pères au pouvoir. Seulement à ce niveau, le président syrien est moralement bien supérieur à l'émir du Qatar. Le premier a pris la place de son père après sa mort ; le second a renversé son père et lui a confisqué le trône par la force. Si les Américains ménagent aujourd'hui le Qatar, c'est parce qu'ils possèdent dans ce pays minuscule une base militaire immense, la plus grande du monde en dehors des Etats-Unis. Cette simple donnée suffit pour que Washington mette des œillères afin de ne pas voir ce qui est désagréable à voir au Qatar. Mais leur relation avec l'Arabie saoudite est plus stupéfiante encore. Le transfert de la base militaire de Dhahran vers le Qatar n'a pas distendu les relations saoudo-américaines. Ces relations, fructueuses surtout pour les fabricants d'armes américains, ont gardé une constance et une solidité extraordinaires sur des décennies. En entretenant des relations parfaites avec l'un des régimes les plus autoritaires et les plus réactionnaires du monde, les Etats-Unis n'ont pas seulement en tête la vente massive d'armement sophistiqué qui ne servirait à rien sinon à moisir dans le désert d'Arabie avant d'aller à la casse. Ils ont en tête quelque chose de beaucoup plus important. Ecoutons Joshua Landis, un «expert» américain: «Nous avons vaincu Hitler parce qu'on l'a privé de pétrole. Et cette leçon est profondément ancrée dans la mémoire de l'establishment américain. On ne peut pas planifier pour une troisième guerre mondiale sans avoir présente à l'esprit cette leçon. C'est pourquoi le Golfe est si important. Si la Chine ou n'importe qui d'autre devait choisir la voie de la guerre, nous aurions le robinet à portée de main et on n'a qu'à le fermer...» Un bref clin d'œil à l'histoire pacifique de la Chine et à l'histoire belliciste de l'Amérique nous convaincra très vite que, si par malheur une troisième guerre mondiale devait avoir lieu, ce n'est sûrement pas la première qui la déclencherait, comme semble le suggérer cet «expert».