Par Hédi KONZALI(*) La hausse des prix des carburants, décidée par le gouvernement au début du mois de mars 2013, aura des effets d'entraînement sur l'ensemble des secteurs d'activité économique et, partant, un impact négatif, principalement, sur la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat du consommateur qui s'est nettement détérioré depuis le second semestre 2011. Aussi, cette deuxième augmentation, après celle de septembre 2012, est-elle réellement nécessaire au vu de la situation actuelle que connaît le pays, notamment une instabilité politique et sécuritaire et un accroissement très élevé des prix de l'ensemble des produits et des services ? Le relèvement des prix a pour but essentiel, selon le gouvernement, la maîtrise: 1- de la forte augmentation des charges totales de compensation (produits de consommation de base, carburants et transport) qui sont estimées, en 2013, à environ 4.400 MDT contre seulement 1.500 MDT en 2010 et 2.900 MDT en 2011.Néanmoins, la progression des charges de compensation à ce rythme constitue un paradoxe avec la baisse sensible, sur le marché international, des cours de produits de base en comparaison avec leurs niveaux enregistrés durant les années 2008 et 2009, en particulier le pétrole brut. En fait, le prix de ce produit s'est stabilisé à presque 110 dollars le baril depuis l'année 2011, contre un niveau proche de 150 dollars fin 2008, et, ce suite au ralentissement de l'activité économique des pays industrialisés. Cette régression des cours a été conjuguée avec la quasi-stagnation de la consommation des produits pétroliers par presque l'ensemble des secteurs d'activité, principalement l'industrie ; 2- du déficit budgétaire qui a accusé un net accroissement depuis deux ans, atteignant en 2012 un niveau record, soit 8,6% du PIB contre seulement 1,1% en 2010, résultant de l'adoption d'une politique budgétaire expansionniste visant à stimuler la croissance économique. Toutefois, cette politique n'a pas, à notre avis, abouti aux résultats escomptés, notamment aux niveaux du développement des régions et des zones prioritaires, de la relance réelle de l'activité économique et de la création d'emplois productifs. Certes, la nouvelle hausse des prix des carburants permettrait des recettes au budget de l'Etat d'environ 300MDT, soit 10,7% de l'enveloppe de compensation réservée, en 2013, aux hydrocarbures (2.800 MDT). Toutefois, les charges supplémentaires à supporter par l'Etat au titre des dépenses de fonctionnement dépasseraient facilement ce niveau sur la base d'un accroissement attendu des salaires des fonctionnaires et des prix d'achats des biens et services par l'Administration et les entreprises publiques. En fait, l'augmentation des prix des carburants et de l'électricité aura des effets négatifs sur l'ensemble des secteurs d'activité et se répercutera sur les coûts de production de biens et services. Parallèlement, leurs prix de vente s'accroîtront à un rythme plus accéléré, sachant que ceux des biens sont libres à raison de 80% au niveau de la distribution. Pour le consommateur, la progression des prix des biens et services se traduira par un accroissement du rythme de l'inflation et, partant, une nouvelle détérioration de son pouvoir d'achat et entraînera une nouvelle réclamation d'augmentation des salaires. L'accroissement répétitif des prix et des salaires ne peut provoquer qu'un rouleau compresseur sur l'économie tunisienne, aura des répercussions négatives notamment sur les investissements, le marché de l'emploi, la consommation globale et, partant, sur le rythme de la croissance économique. Il aboutit, enfin, à une situation de stagflation (niveau élevé d'inflation contrastant avec une croissance faible) et une détérioration de la compétitivité de notre économie. Aussi, eu égard à la stabilité prévue des cours du pétrole brut sur le marché international aux environs de 110 dollars US le baril, soit le même niveau que celui pris en compte pour l'élaboration du budget de l'année 2013, et dans un contexte d'environnement national défavorable caractérisé, notamment, par un niveau record de l'inflation, une nette détérioration du pouvoir d'achat du citoyen, une probable réclamation de l'augmentation des salaires, une faible croissance économique, une dégradation de la note souveraine à plusieurs reprises et une situation politique toujours confuse, il nous semble que l'ajustement décidé des prix des carburants n'est pas justifié. D'ailleurs, les cours moyens d'importations, exprimés en dinars, des produits pétroliers et du pétrole brut n'ont progressé, en 2012, que d'environ de 15% et 11%, respectivement. De ce fait, la hausse est imputable, presque totalement à la régression sensible du dinar tunisien face au dollar américain (-9,9% en moyenne par rapport à 2011) qui constitue la monnaie de facturation et de paiement des transactions énergétiques. Désormais ainsi, les coûts résultant de la dépréciation du dinar rentrent dans la cadre des charges de compensation et le consommateur qui supportera toujours le fardeau. Les autorités compétentes doivent justifier cette régression anormale du dinar tunisien. A cet effet, la solution d'accroissement répétitif des prix des carburants ne permettrait jamais de maîtriser les dépenses de compensation et ses inconvénients dépasseront ses avantages. Ainsi, il serait mieux, à notre avis, d'envisager d'autres solutions radicales, outre celles prévues par la loi de finances 2103, en particulier : 1- Une transparence totale des charges de compensation pour le citoyen et les experts, surtout au niveau de leur utilisation. 2- Un audit, par des cabinets externes, des sociétés opérant dans le secteur de l'énergie et qui sont déficitaires car il est curieux, par exemple, que l'Etap, société de services, dégage des pertes. 3- Faute d'une imposition sur les richesses, l'instauration pour cette catégorie d'une taxation de compensation plus élevée que celle de 1% sur leurs revenus nets et sans plafond. 4- L'établissement d'une taxation supplémentaire sur les voitures de plus de 7 chevaux et sur la deuxième voiture pour chaque personne physique. 5- La réduction du nombre des bons d'essence octroyés au personnel des administrations et des sociétés publiques. De même, la notion de voiture de fonction doit être supprimée totalement et le personnel pourrait bénéficier simplement d'un crédit d'achat d'une voiture à des conditions avantageuses. 6- Le relèvement des prix des dérivés de céréales, surtout le pain, qui sont à des niveaux bas et n'ont pas d'effets d'entraînement comme les hydrocarbures. 7- Le recours, de plus en plus, aux achats groupés du pétrole brut et des produits pétroliers ainsi que l'activation de la politique de maîtrise de l'énergie, en particulier au niveau domestique. *(Cadre bancaire)