L'administration tunisienne continue de faire l'objet de critiques assez virulentes. A tort ou à raison, son image auprès du citoyen a fini par perdre tout son éclat. Et bien qu'elle ait gardé son rythme quasiment habituel, en tant que pourvoyeur de services publics, dès les premiers jours après la révolution du 14 janvier, sa partialité administrative et son instrumentalisation politique ne sont plus à démontrer. Les multiples nominations qui avaient été décidées dans des postes clés au sein de l'administration centrale et régionale sont l'exemple édifiant de favoritisme, de clientélisme et d'un abus du pouvoir par le gouvernement démissionnaire. Autant dire que le principe de l'objectivité est toujours considéré comme le maillon faible de toute la chaîne des services publics. En ces temps de démocratie naissante que vit le pays, la relation citoyen-administration pose autant de questions dont la plus inquiétante est la suivante: verra-t-on un jour l'administration tunisienne ne plus faire preuve de traitements discriminatoires ou d'allégeance partisane à quiconque? A partir de ce constat de remise en cause, la bonne gouvernance est retenue comme un mot d'ordre du processus démocratique et clé de voûte d'une administration neutre et citoyenne. C'est dans cette logique que tout un débat a été engagé sur «la neutralité des services publics et la transition démocratique». Cette opportunité de discussion et d'échange d'idées sur cette thématique cruciale a été l'initiative de l'Union tunisienne du service public et de la neutralité de l'administration qui a organisé, hier après-midi, une conférence nationale dont les travaux prendront fin aujourd'hui, à son siège à El Menzah VI. Une série d'interventions et de communications au cours desquelles les principes de l'égalité et de l'impartialité ont été hissés au rang de constantes fondamentales de l'exercice démocratique. Dans son allocution d'ouverture, le ministre délégué chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, M. Abderrahmane Ladgham, a expliqué que la neutralité est l'un des piliers de l'Etat moderne, mais aussi une des conditions nécessaires sur lesquelles se base une véritable légitimité du service public, celle de la confiance de ses usagers. Une confiance citoyenne sans laquelle l'administration n'a aucune raison d'être. Car, être proche du citoyen, là où il se trouve, pourrait lui donner une légitimité aussi plus forte que celle recueillie par voie électorale. Ce capital confiance ne peut durer et résister que dans une politique de bonne gouvernance. Et le ministre d'ajouter que le principe de la neutralité revêt, ainsi, une importance capitale à travers l'histoire des vieilles démocraties du monde entier. D'après lui, sa constitutionnalisation semble être de taille pour échapper à tout risque d'abus et de malversation, dans la perspective de mieux servir le citoyen, tout en étant constamment à son écoute. Sur la même lancée, M. Ladgham a noté que neutralité et égalité sont deux impératifs indissociables pour garantir des prestations administratives équitables. La neutralité, a-t-il encore expliqué, prend, bien entendu, un aspect multidimensionnel, touchant les différentes articulations de l'Etat. Elle revêt un caractère institutionnel, législatif, judiciaire, administratif, médiatique et sécuritaire. Cette neutralité , en tant que concept unifié, ne peut se comprendre que dans sa multiplicité, révèle-t-il. Par ailleurs, le ministre a passé en revue la stratégie de son département en la matière, évoquant qu'il est en train d'engager de multiples projets en collaboration avec d'autres organisations internationales. Parmi ces projets, il a cité le programme d'identification et de diagnostic de la transparence, premier de son genre dans le monde. Il est aussi question de la révision du régime des marchés publics et la réforme du système de contrôle et d'audit public. De son côté, Mme Hasna Ben Slimane, juge auprès du tribunal administratif, s'est focalisée dans son intervention sur les devoirs des agents publics et le pouvoir discrétionnaire. Celui-ci se définit comme étant les tendances optionnelles de l'administration pour servir l'intérêt général. Le tout dans le cadre de la loi, avec un contrôle minimum au niveau juridique, des faits, d'abus du pouvoir et sur le plan des défauts d'évaluation. Dans le texte, l'agent est appelé à faire son travail dans les normes requises, alors que l'administration doit lui fournir les moyens nécessaires y afférents, dans l'objectivité totale et loin de toute instrumentalisation politique. Dans la pratique, rien ne confirme cette neutralité. Le politique s'immisce dans l'administratif, au grand dam des intérêts publics. La primauté de la loi n'est qu'un slogan creux. «Cette réalité n'est plus à démontrer», a-t-elle constaté. Et Mme Ben Slimane de reprendre que le pouvoir discrétionnaire devrait fonctionner correctement et la répartition des tâches ne peut qu'être du ressort de l'administratif. L'oratrice a insisté sur l'impératif de réduire l'écart entre le texte et la pratique, de manière à rendre la loi plus visible et plus adaptée à la réalité. Aboutir à une administration neutre et transparente relève d'une culture à ancrer dans les esprits et dans les comportements. Une véritable éducation à la démocratie. L'universitaire Mustapha Beltaief a fait savoir que la neutralité est un principe de la bonne gouvernance démocratique. Cela impose, selon ses dires, la reddition des comptes, la transparence, l'efficacité, l'efficience et la vision prospective. Mais comment garantir cette neutralité administrative? La séance d'aujourd'hui aura à apporter plus de réponses, du point de vue judiciaire, institutionnel, médiatique et diplomatique.