On a souvent tendance à penser que les rencontres scientifiques et littéraires, parce qu'elles constituent le lieu de rassemblement d'une élite culturelle autour de sujets assez sérieux, sont à l'abri d'une certaine violence. Or, on est régulièrement détrompé. Ce qui, comme on le souligne dans ces pages, ne va pas sans des séquelles très regrettables qu'on peut constater, non seulement sur les intellectuels participants, mais aussi sur l'image de telles rencontres et sur l'idée que les uns et les autres se font de leur utilité. Cela, en fin de compte, représente une terrible injustice envers les organisateurs qui, très souvent, n'ont pas été avares ni de leur temps ni de leurs efforts, c'est le moins qu'on puisse dire, afin de faire en sorte que tout ce beau monde, choisi soigneusement et au prix de laborieuses prospections, venu parfois d'horizons lointains, se retrouve durant deux ou trois journées et que tout se passe sans encombre. Une première réflexion qui s'impose est la suivante : de telles manifestations souffrent d'un problème de déficit immunitaire, si on ose parler ainsi. Comment, autrement, expliquer le fait qu'elles soient à la merci des agissements inopportuns et malfaisants d'une simple personne présente dans l'assistance ? Et qu'il suffise qu'elle fasse irruption dans une séance de débats, en profitant de leur caractère libre et ouvert, pour créer le malaise ? Peut-être, de ce point de vue, conviendrait-il d'introduire dans nos usages certaines réactions intrépides grâce auxquelles, sans rien céder à une quelconque logique du mépris, de telles interventions malvenues soient rapidement circonscrites et leur auteur rappelé à l'ordre, s'il le faut par quelques remarques bien senties qui feraient apparaître son insistance comme l'aveu d'une volonté de nuire à la rencontre. Prévoir des parades efficaces pour neutraliser ce genre d'accidents devrait ainsi devenir partie intégrante du savoir-faire requis des organisateurs et des animateurs de pareilles rencontres. Mais qu'il nous soit permis de risquer une seconde réflexion, qui est la suivante : il arrive que les participants eux-mêmes, parce qu'ils se laissent aller à des postures intellectuelles et rhétoriques qui nuisent autant à la clarté qu'à la modestie, préparent le terrain à une sorte de dégradation plus ou moins imperceptible de l'ambiance générale. Et que c'est précisément cette dégradation-là que nos énergumènes guettent comme le moment opportun où ils pourront faire irruption et sévir. Autrement dit, il y a une approche préventive, et pas seulement curative, dans l'organisation des rencontres en matière de lutte contre les ''agressions'', et cette approche consiste à maintenir un climat amical entre les conférenciers et la salle, malgré la difficulté parfois du propos. Plus on aura su entretenir et préserver l'empathie qui existe de part et d'autre du pupitre, moins on donnera de chance aux perturbateurs de juger que le terrain est favorable pour agir... Et, bien entendu, plus on se sera donné les moyens de faire de telles manifestations culturelles des moments où le mot «rencontre» pourra retrouver la signification heureuse qui est la sienne.