Le tollé général provoqué par les déclarations de Marzouki saluant les mérites de Qatar dans la récupération des avoirs spoliés par Leïla Ben Ali et déposés au Liban n'a pas empêché le président de la République provisoire de persister et de signer. Il a rendu, en effet, hier, un hommage au Qatar, dans un entretien téléphonique avec son prince héritier, «pour son rôle dans la restitution des avoirs tunisiens spoliés et pour son aide technique, via l'ONU, en vue de la récupération de ces mêmes avoirs». Comment les acteurs du paysage politique national ont-ils perçu les déclarations de Marzouki lors de la cérémonie de remise du chèque sur l'argent récupéré ? Que pensent-ils de l'affront subi par le gouverneur de la BCT dont le rôle a été totalement ignoré par le chef de l'Etat ? Que répondent-ils à cheikha Moza épouse de l'Emir du Qatar, qui a reproché, en des termes crus et désobligeants, aux Tunisiens ce qu'elle considère des «attaques contre le Qatar et son émir, menées par certaines âmes égarées parmi nos frères tunisiens» — comme elle le souligne sur sa page officielle Facebook. Réactions. Abdelwaheb Hani, initiateur de la Fondation Al Majd pour les études stratégiques: Une réaction maladroite inacceptable Les déclarations du président de la République provisoire sont irresponsables et indignes d'un chef d'Etat qui se respecte. Remercier un Etat tiers qui n'a rien à voir avec le retour de notre argent du Liban est tout simplement un non-sens politique et une contrevérité. Il est utile de rappeler que les journaux libanais et arabes ont fait état depuis mai 2011 des avoirs de Leïla Ben Ali et de la bonne volonté du Liban à coopérer avec la Tunisie sans intermédiaire. Quant à cheikha Moza, elle réagit maladroitement à une maladresse de son ami Moncef Marzouki qui a soulevé un tollé patriotique en Tunisie refusant l'ingérence de l'étranger dans ses affaires.. Les propos de cheikha Moza sont inacceptables venant d'un pays frère. Notre diplomatie doit réagir et transmettre à nos amis qataris une position ferme contre toute ingérence, toute arrogance et de tout mépris. En son temps, le président Bourguiba avait renvoyé séance tenante un dignitaire du Golfe qui avait osé mepriser un serveur tunisien. La souveraineté c'est aussi la défense de l'honneur national. Pour ce qui est du gouverneur de la BCT, il est dans son droit de protester contre l'ignorance du chef de l'Etat et l'humiliation de l'institution qu'il représente. Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme: Le peuple tunisien n'a de leçon à recevoir de personne En remerciant, le Qatar et l'avocat qatari qui est en réalité un fonctionnaire international auprès de l'ONU, Marzouki fait preuve d'une confusion déplorable. S'il le fait par manque d'information, c'est une catastrophe et s'il s'est exprimé ainsi en connaissance de cause, c'est une catastrophe encore plus grave. Quant à la réaction de cheikha Moza absolument inacceptable, je ne peux que lui dire que le grand peuple tunisien n'a de leçon à recevoir de personne et ses propos sont en réalité un témoignage sur la grandeur des Tunisiens qui ont réalisé une révolution qui a suscité l'admiration et l'estime du monde entier. Je lui renvoie la balle en lui citant le célèbre vers: «Au cas où je suis méprisé par un individu indécent, c'est bien là la preuve qui j'ai atteint la perfection». Pour ce qui est du comportement condamnable à l'égard du gouverneur de la Banque centrale, il est bien décevant de voir le président de la République manquer de respect et d'égard d'une institution qui a joué un rôle déterminant dans la récupération de l'argent spolié par Leïla Ben Ali. Raja Ben Slama, universitaire et membre de Nida Tounès: Une indécente instrumentalisation électoraliste Les déclarations de cheikha Moza me remplissent de colère et suscitent mon indignation. Les leçons qu'elle essaie de nous donner sont inadmissibles surtout qu'elles proviennent d'un pays qui vient de condamner un poète à 15 ans de prison pour avoir écrit un poème saluant la révolution tunisienne. D'autre part et contrairement à ce qu'elle avance, Qatar n'a pas soutenu la révolution tunisienne, mais bien les contre-révolutionnaires et les forces réactionnaires en leur accordant un soutien financier et médiatique illimité. Cet Etat cherche à détourner notre révolution de son cours initial pour la transformer d'une révolution pour la démocratie et la dignité vers un changement qui ambitionne d'instaurer un Etat théocratique. Quant à Marzouki, c'est la deuxième fois qu'il menace les Tunisiens et c'est indécent de la part d'un militant des droits de l'Homme qui a perdu sa voie. Indécente aussi est cette instrumentalisation électoraliste d'une affaire où le mérite revient à la BCT et à l'ONU. Marzouki cumule les erreurs et la dernière c'est la confusion qu'il a de la qualité de l'avocat de l'ONU Ali Ben Fliss Merri. Malheureusement, ses apparitions deviennent de plus en plus cauchemardesques. Côté recours à la poésie ancienne pour soutenir une quelconque position politique, je suis sidérée de voir que nos jeunes ont changé et qu'ils changent actuellement le monde alors que les adultes continuent de réfléchir avec les anciennes méthodes. Le mérite revient au gouvernement libanais Une source auprès du barreau tenant à s'exprimer sous les sceau de l'anonymat apporte un autre son de cloche en soulignant : «Le mérite de la récupération des avoirs détournés par Leïla Ben Ali ne revient ni au Qatar ni à la commission présidée par le gouverneur de la Banque centrale. Il revient exclusivement au gouvernement libanais qui a gelé ces avoirs dès les premiers jours de la révolution tunisienne et a fini par les restituer à la Tunisie bien que certaines procédures juridiques y afférentes ne soient pas encore achevées. Donc, le président Marzouki n'avait pas à faire l'éloge de Qatar qui n'a aucun mérite dans cette affaire. Quant à Cheikha Moza, je pense qu'elle s'est sentie visée par les écrits qui ont circulé sur les réseaux sociaux et elle s'est défendue avec les moyens dont elle dispose».