On remet ça. On efface tout et on revient à la case échec. A l'issue de débats houleux, la motion de censure déposée contre la ministre de la Femme, Sihem Badi, a été rejetée par 90 voix contre, 70 voix pour et 14 abstentions. La ministre jubilait. Elle se rappelle des martyrs, tombés trop tôt pour assister à pareille journée. Journée de triomphe de la démocratie. Et des institutions. Par-delà les résultats du vote, les hommes et les femmes, créatures passagères. Décidément, dans cette Assemblée constituante, on aura tout vu. Tout et rien. Les coteries partisanes en lice en disent long sur le peu de cas qu'on y fait de l'intérêt public. Cela rappelle certains pouvoirs de l'antiquité, là où les chapelles importaient plus que le culte. Rien ne résume mieux que les chiffres les navrantes antinomies qui s'équilibrent presque : 90 voix contre la motion de censure, 84 voix ailleurs, tandis que 43 Constituants étaient hors course. Et puis le temps passe. Et l'on fait du surplace. Les citoyens ont l'impression que l'Assemblée évolue à reculons ou avance à une allure d'escargot. Entre-temps, la présidence de la République a lancé une nouvelle dynamique de dialogue. D'emblée, des partis de la place, et non des moindres, l'ont dénoncée. Soit pour avoir été conviés à un débat dont ils ne savent rien. Soit parce qu'ils s'en tiennent au dialogue lancé en octobre sous la houlette de l'Ugtt, la centrale syndicale. Soit enfin parce qu'ils considèrent que des figures de l'ancien régime y ont été conviées. Bref, c'est la foire d'empoigne, avant même que la mayonnaise ne prenne. En même temps, le chaudron d'un nouveau bras de fer entre l'Ugtt et le gouvernement bout. En toile de fond, les profondes divergences sur le rapport de la commission d'enquête relative à l'attaque du siège de la centrale syndicale le 4 décembre 2012. Encore une fois, la logique du dialogue des sourds l'emporte. Ajoutons-y les heurts enregistrés à Bizerte pour cause de disqualification contestée de l'équipe de foot en vue de la course pour le titre. Et l'on comprendra que le démon des violences est tapi partout. Tous les prétextes sont bons pour ses réveils sporadiques et ravageurs. Reconnaissons-le. La révolution a accouché d'une génération de politiciens à la limite de l'inconsistance. Ils n'ont rien fait pour mériter ce drôle de trophée en creux. Ils sont arrivés là par accident. Ou par malentendu. L'Histoire regorge d'exemples édifiants à ce propos, à l'instar de tel président américain ayant atterri à la Maison Blanche par un concours hasardeux de circonstances. Pour le citoyen lambda, la classe politique s'offre en spectacle. Tantôt piteusement, tantôt pathétiquement. Terrassé par les turpitudes du vécu, il en arrive à ne plus croire en rien. Depuis des mois, il est aux prises avec le rouleau compresseur de la hausse des prix, de l'insécurité, de la vie au ras du sol. Il perd tout simplement espoir. Promène autour de lui un regard incrédule et désabusé. A la hauteur des espérances froissées, des promesses inabouties, des balbutiements d'élans libertaires sitôt rattrapés par les nouvelles grimaces de la peur, les nouveaux totalitarismes. Les politiciens sont trop cloîtrés ou confinés dans leur tour d'ivoire, leurs parcours factices, pour prendre le pouls de la vie. Dans toute sa truculence, ses frilosités, ses frayeurs, angoisses et désillusions. Pour nombre d'élus à la Constituante ou catapultés aux hautes charges gouvernementales, la révolution a considérablement changé leur vie. La leur propre. Mais pour des gains individuels, combien de pertes collectives. Pour des calculs de boutiquier, combien de gisements immenses dilapidés.