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« 50% des étudiants qui peuplent aujourd'hui nos amphis n'auraient pas réussi leur Bac sans l'aide des 25% » 3Questions à ... Baccar Gherib, doyen de la faculté de Jendouba
Il est historien de la pensée économique, Baccar Gherib a consacré sa thèse à deux éminentes figures fondatrices du libéralisme économique, Adam Smith et David Hume, et il est doyen de la faculté de Jendouba. C'est la première fois qu'est élu à la tête de cette institution du Nord-Ouest un économiste doublé d'un syndicaliste. Depuis quelque temps, sa recherche s'est focalisée sur l'économie politique de la Tunisie, avec une réflexion sur les classes moyennes et sur l'économie politique de la Révolution tunisienne. M.Gherib a publié, en outre, un recueil de ses articles parus entre février 2008 et janvier 2014 sur l'hebdomadaire Attariq Aljadid sous le titre «Chroniques d'un pays qui couvait une révolution». Nous l'avons abordé pour nous parler de la faculté de Jendouba, de ses difficultés, il évoque aussi rapidement les maux structurels qui minent le secteur de l'enseignement supérieur. Y a-t-il une solution immédiate pour apporter des remèdes efficaces à la situation difficile de l'enseignement supérieur ? L'ancien régime nous a laissé une université déconnectée du tissu économique, devenu objectivement incapable d'absorber les dizaines de milliers de diplômés qu'elle produit chaque année. Dès lors, toute réforme de l'enseignement supérieur doit prendre en compte que l'université est au cœur du modèle de développement économique et au centre du contrat social par la mobilité sociale ascendante qu'elle est censée générer. Cette vocation n'est plus la sienne depuis qu'on est passé, sans préparation aucune, d'un système bon mais sélectif à une massification qui s'est faite aux dépens de la qualité. Ajoutez à cela la mise en place d'un système LMD vidé de sa substance, instauré à marche forcée et, de surcroît, sans la participation des parties prenantes (enseignants et étudiants). Ceci dit, dans l'attente d'une réforme en profondeur du système, une voie peut être indiquée. Tout le monde sait que la «massification» a été obtenue par un escamotage du baccalauréat, notamment par la comptabilisation des fameux 25% de la moyenne annuelle dans l'examen. Or, le Bac ne représente pas seulement le couronnement du secondaire, il est aussi la voie d'accès au supérieur et, en tant que tel, il concerne les universitaires. Savez-vous que 50% des étudiants qui peuplent aujourd'hui nos amphis n'auraient pas réussi leur Bac sans l'aide des 25% de la moyenne annuelle ? Sur ce plan, en tout cas, il y a un accord entre les syndicats du secondaire et du supérieur pour exiger l'annulation de cette approche. Dans l'enseignement supérieur, on souffre beaucoup si l'on ne maîtrise pas l'expression orale et écrite dans les deux langues et si on traîne des lacunes en maths (pour les formations scientifiques). C'est, hélas, le cas pour une partie non négligeable de nos étudiants. Le retour à un peu plus de rigueur au niveau du Bac est d'autant plus souhaitable que les enquêtes internationales (Timms et Pisa) portant sur le niveau de nos élèves de 14-15 ans sont proprement inquiétantes... Mais une telle décision est nécessairement impopulaire et il faudra beaucoup de courage politique pour l'instaurer... Je doute fort qu'elle soit pour sitôt ! Deux ans après la révolution, qu'est-ce qui a changé ? Dans la faculté, et d'une manière générale dans le secteur, en mieux, en pire ? L'université est partie intégrante de la société. Elle est affectée par les mêmes changements qui ont secoué celle-ci. D'abord, un formidable vent de liberté et de démocratie a soufflé : dès les premiers jours de la révolution, en effet, exit la «police universitaire», généralisation du principe de l'élection des doyens et directeurs à toutes les institutions. Et, pour la première fois, les universitaires ont pu élire leurs recteurs ! Le gain est indéniable, l'avancée est énorme. Toutefois, on s'est rapidement rendu compte que le changement n'avait pas que du positif et que l'air du temps allait exposer l'université à des attaques visant à la soumettre à une autre tutelle que celle de l'autoritarisme politique, mais tout aussi insidieuse et étouffante pour les libertés académiques. L'université, étant un lieu de diffusion, mais aussi de production de savoir dépendant de l'épanouissement, de la liberté de pensée, et du développement de l'esprit critique. Bref, l'université a besoin de réfléchir, sans qu'on vienne prétendre la mettre de nouveau sous tutelle et y instaurer de nouveaux tabous ! Par ailleurs, comme dans toute la société, la chute de l'autoritarisme s'est accompagnée d'une chute de l'autorité tout court ! Nous peinons aujourd'hui à reconstruire cette autorité, à faire respecter les règles nécessaires «au vivre ensemble», sans l'autoritarisme qui a gouverné ce pays sur plus d'un demi-siècle. D'où des dérèglements, une perte de repères, qui font que l'espace social en général et universitaire en particulier deviennent le théâtre de phénomènes inédits, tels que le déchainement de la violence, mais aussi du développement, au nom de la révolution, d'une logique populiste et démagogique qui, si elle perdure, pourrait être dommageable à l'université. Mais je suis d'un tempérament optimiste et je pense que, derrière les difficultés actuelles, se dessinent, pour l'université, comme pour le pays, les promesses d'un avenir meilleur. A condition, bien sûr, de faire preuve de vigilance et de persévérance dans la défense des valeurs de liberté, de démocratie et de progrès ! Considérez-vous votre fonction comme une étape dans votre carrière, ou plutôt relève-t-elle de l'ordre du militantisme ? Dans le contexte actuel, avec les dérèglements évoqués ci-dessus, ce type de responsabilités est loin d'être un cadeau ! De plus, me concernant, il ne s'inscrivait nullement dans un «plan de carrière», car il était imprévu et il vient suite au départ, au milieu de son mandat, de mon prédécesseur... Mais, dans certains moments, il faut savoir assumer ses responsabilités et ne pas décevoir la confiance des collègues. Surtout si un fort sentiment d'appartenance a été développé vis-à-vis de sa faculté. D'autant plus que les institutions des régions de l'intérieur ont besoin, plus que les autres, de notre engagement. Vous n'avez pas idée de ce que représente la faculté pour la ville et toute la région, et des potentialités qu'elle pourrait contribuer à y faire développer. Pourvu qu'on y croie et que chacun mette un peu du sien. Bref, après avoir enseigné plusieurs années à la faculté de Jendouba et fait partie de son syndicat, je suis fier, aujourd'hui, d'en être le doyen.