Par Nejib OUERGHI L'évolution du processus de transition de la Tunisie vers la démocratie ressemble, par ses rebondissements inattendus, au mythe de Sisyphe. Chaque fois qu'on croyait que le but est atteint et qu'on est au bout de nos peines, on revient subitement à la case départ, ce qui exige de déployer de grands efforts pour remonter de nouveau le rocher vers les sommets. En termes concrets, le bateau Tunisie rencontre toujours de fortes turbulences rendant sa stabilisation problématique. Le dialogue, pourtant voie indiquée pour permettre une meilleure visibilité au pays, restaurer la confiance et relancer l'activité économique, ne trouve pas toujours de nombreux prétendants. Chaque initiative lancée suscite controverses et dissensions. La loi fondamentale dont le troisième brouillon présenté, le 22 avril dernier, à un comité d'experts, au lieu de nous sortir de l'expectative et du doute, qui ont longtemps prévalu, nous a replongés dans une nouvelle polémique, rendant tout consensus difficilement envisageable et l'organisation des élections avant la fin de l'année peu probable. L'adoption par l'Assemblée nationale constituante de la loi relative à l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire, qui vient remplacer le Conseil supérieur de la magistrature, a vite déchanté. Des critiques de fond ont fusé sur la composition de l'Instance, la participation des avocats et, surtout, la question de l'indépendance et la neutralité des magistrats dans l'exécution de leur tâche. Tout cela fait qu'aujourd'hui règne une situation à la limite kafkaïenne dans le pays. Au lieu d'un seul dialogue national, on a droit à plusieurs, d'où la difficulté de parvenir à un large consensus de la classe politique sur un calendrier précis, des options et des choix clairs qui peuvent sortir le pays de l'attentisme et du doute. Alors que le dialogue national, qui a démarré depuis plus d'une semaine à Dar Dhiafa à Carthage, suscite espoirs mesurés chez les uns et scepticisme chez les autres, tellement les positions sont parfois rapprochées sur certains dossiers et dissemblables sur d'autres. L'incertitude qui continue à planer quant à l'aboutissement de ce dialogue et à la réalisation d'un consensus sur la nature du régime politique, le code électoral, les instances constitutionnelles, la date des élections et les moyens permettant de préserver l'ordre et la sécurité dans le pays montrent une propension des partis politiques à privilégier les manœuvres et à cacher leur jeu, qu'à œuvrer pour créer les conditions objectives d'une démocratie réelle et d'un développement partagé et inclusif. Au moment où le pays fait face à de sérieuses menaces, à des pressions, de plus en plus douloureuses et à des risques pouvant handicaper durablement son développement, arracher un consensus des acteurs politiques sur toutes les questions en suspens et réanimer le débat public demeurent une tâche ardue, un objectif difficilement réalisable, mais non impossible. Pour éviter le pourrissement de la situation et l'exacerbation des divisions, il est devenu impératif de parvenir à des compromis et à des convergences sur les sujets considérés par tous comme source de discorde. Cela exige de la part de tous une haute conscience de la gravité de la situation et un engagement sincère à servir les intérêts de la Tunisie, non des causes partisanes. Cela est vrai, aujourd'hui, pour le dossier délicat du régime politique où la majorité des voix penche pour un meilleur équilibre entre les pouvoirs attribués au président de la République et le président du gouvernement. Est-il concevable d'élire un président au suffrage universel pour le cantonner ensuite dans un rôle purement protocolaire ? La démocratie encourt-elle des menaces sous un régime parlementaire qui pourrait servir les intérêts d'un parti dominant ? Toutes ces appréhensions sont légitimes, les aborder dans un esprit d'ouverture et de concorde participe à les dissiper et à favoriser des solutions qui peuvent nous épargner bien des contractions difficiles et des dérives dangereuses... Dans cette perspective, le deuxième round de dialogue national que l'Ugtt s'apprête à lancer ne doit pas raviver les dissensions et, encore moins, les polémiques. Il faut tout simplement considérer cette initiative comme une nouvelle opportunité pour renforcer les avancées accomplies et transcender les dissensions. A l'évidence, ce qui importe le plus dans cette phase délicate, c'est de parvenir, par la conjugaison de toutes les bonnes volontés, de toutes les sensibilités politiques dont le pays regorge, à trouver les bonnes réponses et les bonnes pistes pour préserver la sécurité du pays, son unité, son modèle de société et pour mettre un terme à la crise politique qui a longtemps duré. On aura peu de temps pour agir et satisfaire à ces exigences. On a encore peu de temps pour forger un consensus qui donnerait un déclic qui renforcerait la confiance des Tunisiens et sauverait le pays d'une si longue période d'attentisme et de flou.