Par Nejib ouerghi Trois événements ont polarisé l'attention de l'opinion publique cette semaine, alourdissant davantage l'atmosphère qui règne dans le pays. Ils ont pour toile de fond la motion de censure contre le président provisoire de la République, qui devrait permettre à l'Assemblée nationale constituante (ANC) de l'auditionner sur ses dernières déclarations à Doha contre l'opposition tunisienne, la crise qui couve entre le gouvernement et l'Ugtt, à propos des droits économiques et sociaux devant figurer dans le projet de la nouvelle Constitution et de la suite donnée aux événements du 4 décembre dernier et, enfin, la poussée inflationniste qui ne cesse de s'aggraver et d'éroder, de jour en jour, le pouvoir d'achat du Tunisien. Pour le gouvernement Laârayedh, la trêve politique et sociale semble n'être que de courte durée. A un moment où le pays fait face à de graves difficultés économiques et sociales et qu'il est engagé dans de délicates négociations avec le FMI ( Fonds monétaire international) pour l'obtention d'un financement estimé à 1,7 milliard de dollars, destiné à soutenir sa transition et l'aider à affronter d'éventuels «chocs» extérieurs, voilà que ressurgit le spectre de la crise politique et des tensions sociales. La crise politique, dont les premiers signes commencent à devenir insistants, est une conséquence directe de l'imprudence, voire de l'amateurisme, des acteurs politiques, habités par une insoutenable légèreté dans leur approche de certains dossiers délicats. Elle se ressource dans les surenchères et les polémiques que notre classe politique ne cesse d'alimenter par le jeu des calculs politiques et électoralistes. La propension à préserver la stabilité du pays et à garantir les conditions optimales pour la réussite du processus de transition démocratique bloqué est loin d'être la priorité de tout le monde. A l'évidence, la grande polémique que suscitent encore les affaires des motions de censure contre le président Marzouki et la ministre de la Femme est l'illustration la plus parfaite de la descente vers les abysses du débat public dans notre pays. Une situation qui suscite questionnements et interrogations parmi les Tunisiens, désorientés et inquiets. En l'étape actuelle, n'est-il pas plus urgent, pour la classe politique, dans sa diversité et ses différences, de concentrer ses forces et son attention pour parachever le projet de la nouvelle Constitution, clore définitivement les dossiers qui ont, jusqu'ici, suscité discorde et dissensions (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle, Instance provisoire de la magistrature, mise en place de l'Instance supérieure indépendante des élections...) que de continuer à se perdre en conjectures? Dans le climat actuel de suspicion et de doute, peut-on envisager, comme cela avait été annoncé, une adoption facile du projet de la nouvelle Constitution d'ici fin avril? Cette éventualité paraît de plus en plus improbable au vu des divisions et des différences d'appréciation qui dominent toujours. En effet, recueillir un large consensus (de deux tiers des membres de l'ANC) autour du projet de la Constitution semble être une hypothèse difficile, rendant incertaine l'organisation des prochaines échéances électorales avant la fin de l'année en cours! En effet, la crise politique est, surtout, entretenue par une quasi-incapacité à clore certains dossiers qui fâchent dans un cadre de concertation et de recherche de convergences. Les événements du 9 avril 2012, de Siliana et du 4 décembre dernier n'ont toujours pas débouché sur des documents ou rapports communs qui permettent de tirer les enseignements de ces épisodes douloureux et de rétablir la confiance, si vitale, entre le gouvernement, la société civile et les organisations nationales. La persistance des divergences, de la méfiance et le refus de tout compromis continuent à pourrir le climat politique et social dans le pays en butte à des difficultés inextricables en raison de l'absence de visibilité et de clarté de choix. Dans un tel contexte difficile et annonciateur de tous les périls, l'on est en droit de se demander à qui peut profiter un nouveau bras de fer entre gouvernement et Ugtt. Assurément pas à la Tunisie. Sur le plan économique, tout ne baigne pas dans l'huile. Les clignotants sont même en train de virer au rouge. Quelle marge de manœuvre peut avoir le gouvernement Laârayedh pour corriger de grandes distorsions, restaurer la confiance des opérateurs, préserver les équilibres financiers du pays et remettre l'économie en marche? Une marge assez étroite, il est vrai, au regard de la grave crise qui secoue les systèmes productif et financier, du tarissement des ressources nécessaires pour financer l'économie et le développement des régions intérieures. Cette situation difficile, mais non impossible comme le laissent entendre les plus avertis, exige un surcroît de vigilance et, en même temps, une action d'urgence qui permette de gérer efficacement ce cap. En définitive, c'est de la qualité des réponses aux questions lancinantes, des programmes et des projets qui seront initiés et des réformes qui seront mises en œuvre, qu'il sera possible d'arrêter la descente aux enfers de l'économie tunisienne. La poussée inflationniste qui a atteint son paroxysme en mars dernier (6,5%), l'anarchie qui caractérise les circuits de distribution, le doute et l'attentisme ambiants et l'insécurité sont autant d'indicateurs inquiétants. Leurs effets peuvent être estompés, non par une baguette magique, mais par un signal politique fort. Un signal qui rétablirait la confiance et donnerait des perspectives claires aux Tunisiens qui n'ont eu de cesse de vouloir briser le cercle vicieux qui est en train de les suffoquer.