Par Néjib OUERGHI Un sentiment mitigé se dégage de la déclaration du gouvernement provisoire prononcée, jeudi, à l'occasion du démarrage de la discussion, par l'Assemblée nationale constituante (ANC), du projet de budget de l'Etat et de la loi de finances 2013. Au regard des réalisations modestes enregistrées en 2012 sur les plans politique, économique et social, des blocages et des difficultés inextricables qui persistent et des menaces qui planent sur la sécurité et l'unité du pays, le programme en onze points annoncé peut-il être considéré comme la panacée pour sortir le pays du cercle vicieux dans lequel il ne cesse de se débattre depuis plus d'un an ? Dans le contexte actuel de brouille, il est inutile d'avancer des jugements hâtifs, de faire montre d'un optimisme béat ou de se perdre en conjectures. Au plan politique, est-il aisé de restaurer rapidement la confiance perdue et de renforcer les fondements de l'Etat civil, qui repose sur la force des institutions, non sur le jeu de l'appartenance idéologique ? Pour enclencher un processus vertueux qui peut changer un tant soit peu la donne, il va falloir que tous les protagonistes adhèrent, volontairement, à un consensus qui fera sortir le pays des polémiques stériles, des considérations électoralistes étriquées et des luttes politiques qui ont, jusqu'ici, grippé le processus de transition de la Tunisie vers la démocratie. L'entreprise est loin d'être une sinécure, loin s'en faut. Le grand effritement de l'échiquier politique national et les divergences qui caractérisent les orientations et les choix se rapportant au modèle de société, à la nature du régime politique, à la définition de la loi fondamentale, auxquels il faut ajouter une incapacité inquiétante à trouver des solutions efficaces aux menaces de la violence politique et du terrorisme aux couleurs d'Al Qaïda, sont autant d'écueils difficilement maîtrisables. A l'évidence, le consensus recherché et souhaité pour surmonter toutes ces causes de friction et la définition d'une feuille de route, acceptée et acceptable, se présentent comme la plateforme idoine pour enclencher un processus qui épargnerait à la Tunisie les soubresauts des luttes politiques et idéologiques, des querelles partisanes et des risques d'une violence aveugle qui menace son unité, sa stabilité et sa sécurité. Les signaux qui ont filtré de la déclaration du gouvernement au sujet de la date des élections, du rôle dévolu à l'ANC, de la mission et de la responsabilité de l'Etat, en tant que seul garant de l'ordre et du droit dans le pays, la nécessité d'éloigner l'exécutif des querelles électoralistes, d'assurer la neutralité de l'administration publique... poussent à un optimisme mesuré. Toutes ces bonnes intentions devraient être, néanmoins, traduites en actions concrètes et en réformes profondes à l'effet de garantir leur concours au renforcement de la démocratie, de la liberté, des droits et à la promotion d'un développement solidaire et intégral. Au plan économique, c'est le même réalisme qui doit prévaloir. Face à un environnement mondial et régional rétif et à un contexte national très incertain, l'on est en droit de se demander si les conditions d'une relance effective de l'activité seront réunies en 2013. Les résultats timides enregistrés en 2012, les fortes pressions au plan financier et social et la crise qui frappe de plein fouet notre principal partenaire économique n'augurent pas de changements, de fond en comble, au cours de la prochaine année. Le taux de croissance envisagé, une fois réalisé, permettra certes de desserrer certaines contraintes, non les difficultés structurelles se rapportant à l'investissement, à la compétitivité de l'économie, au développement des régions intérieures, à la résorption du chômage... Bien plus, avec le tarissement des ressources financières et les difficultés rencontrées pour accéder à des financements concessionnels, il semble incertain de donner une impulsion effective à l'investissement extérieur, de soutenir l'effort de création de nouvelles entreprises et d'emplois. Dans un tel contexte, il est tout à fait loisible de se demander dans quelle mesure la Tunisie pourrait satisfaire l'exigence de préserver ses équilibres financiers tout en engageant de grands projets et des réformes structurelles pouvant renforcer les secteurs productifs et financier ? Au plan social, la maîtrise de l'inflation, la préservation du pouvoir d'achat des citoyens, la lutte contre le chômage et la pauvreté et l'extirpation des régions intérieures de l'exclusion, qui a longtemps plombé leur développement, sont devenues des dossiers d'une extrême urgence. Deux ans après la révolution, répondre à ces attentes, au demeurant légitimes, s'élève au rang d'obligation morale. Tout manquement pourrait avoir des conséquences négatives. Il risquerait de raviver les tensions sociales, d'approfondir le désenchantement des populations et de précipiter le pays dans une spirale qui peut lui coûter et sa stabilité et sa sécurité. La phase décisive qu'aborde la Tunisie exige, incontestablement, des arbitrages difficiles dans tous les domaines. Arbitrages entre les moyens et les ambitions, les politiques à mener et la particularité du contexte, les intentions des différents acteurs et leur volonté de faire aboutir le processus enclenché le 14 janvier 2011. Des arbitrages difficiles mais non impossibles. Ils requièrent un engagement sincère à l'effet de parvenir à des convergences constructives, nécessaires pour asseoir les fondements d'un modèle de société en adéquation avec les ambitions légitimes des Tunisiens. Face au doute et à la peur qui ont jeté une ombre épaisse sur toute perspective qui renforcerait la confiance, un brin d'espoir se profile quand même. Il pourrait être matérialisé par la transcendance des différences et des difficultés et la prise de conscience de l'inévitable consensus à trouver au sujet de toutes les questions en suspens, particulièrement celles qui divisent le plus, aujourd'hui, les Tunisiens. Un consensus qui ne peut s'articuler que sur le renforcement des bases de l'Etat civil et sur la redéfinition d'un modèle de développement autrement plus équitable, solidaire et durable.