Ce n'est pas la première fois que les forces de l'ordre manifestent pour revendiquer leurs droits légitimes. Leurs lettres ouvertes de mécontentement qu'elles ont, à maintes reprises, adressées au gouvernement et aux élus du peuple ont été renvoyées aux calendes grecques, sans aucune suite favorable. Face à la nébuleuse terroriste qui sévit, aujourd'hui, dans nos murs, frappant de plein fouet nos frontières centre-ouest, dans les grottes et les cavernes du mont Châambi à Kasserine, l'appareil sécuritaire s'est trouvé en mal de structuration, coincé dans une batterie de lois obsolètes. Une vérité dérangeante qui a mis à nu une situation sécuritaire sérieusement menacée par le spectre d'une guerre civile fratricide. A bout de patience, les agents de l'ordre, toutes unités confondues, se sont mobilisés hier matin devant l'ANC, au Bardo. Les événements dramatiques survenus suite à la traque des terroristes et qui se sont soldés par de nombreux blessés parmi eux ont été la goutte qui a fait déborder le vase. Selon des sources sécuritaires, il ne s'agit guère d'un sit-in ou d'un mouvement de protestation, mais d'un appel au soutien et à la solidarité avec les forces de l'ordre dans leur combat contre le terrorisme et tout risque qui pourrait planer sur la sécurité et la sûreté de notre territoire. C'est que le pays se trouve, en ces circonstances de mutation, en proie aux escadrons de la mort. Et les opérations mixtes de ratissage menées vaillamment pendant une dizaine de jours sur les reliefs montagneux de Châambi et du Kef viennent administrer la preuve que le dispositif sécuritaire national est défaillant et que les défenseurs de la Tunisie, police et armée, ont véritablement besoin, plus que jamais, d'un appui logistique et législatif. L'on vise, par-delà, l'édification d'une institution sécuritaire républicaine au service de la patrie, échappant aux tiraillements politiques et partisans. Et c'est ce qu'ont, d'ailleurs, réclamé les agents de l'ordre dans leur manifestation d'hier. Ils ont revendiqué la promulgation de lois relatives aux droits et à la protection des agents sécuritaires et leurs familles, ainsi que leurs lieux du travail. «La sécurité républicaine neutre, pilier de la stabilité et vecteur de l'investissement», «L'unification des unités, une voie pour la réforme sécuritaire», «Majoration de la prime de risque», «La révision du statut, une priorité», «Nous sommes les enfants du peuple et à son service...», «Tous contre la violence », et bien d'autres slogans ont été scandés haut et fort. Dans le brouhaha d'une forte mobilisation citoyenne, les appels d'ici et de là ont convergé vers un objectif commun: faire sortir ce corps du métier du jeu politique et de toutes autres considérations électoralistes. Une heure passée, les forces de l'ordre sont montées au créneau. Les citoyens aussi. Les enjeux étaient de mise de sorte qu'une grande foule s'y mettait volontiers. Les appels à la démocratie et à l'impartialité de l'appareil sécuritaire à n'en plus finir. « Je ne vous mens pas, je suis plus souvent préoccupée par la situation qui prévaut dans le pays. On a réellement besoin d'une sécurité républicaine.. », déclare Lamia, venue d'Ezzahra pour soutenir la manifestation. Et de poursuivre en s'écriant, les yeux larmoyants, « à chaque fois que mon mari se rend au travail, lui aussi agent de sécurité, je n'arrive pas à me rassurer et je crains qu'il revienne pas...», soulignant qu'elle descend d'une famille qui fait partie de ce corps qui mène une vie hautement risquée. Tenant un balai à la main, Lamia a tourné en ridicule le laxisme politique et la négligence des partis au pouvoir. « J'entends appeler, par ce geste, à l'éradication à jamais du terrorisme et ses fiefs... », a-t-elle indiqué sur un ton ironique. 11h00, un soleil de plomb. Mais, la chaleur accablante n'a pas réussi à décourager les bonnes volontés. La foule s'est déplacée vers la grande porte d'entrée de l'ANC. Là, une délégation des représentants des syndicats des forces de sécurité intérieure vient d'y accéder pour mettre les constituants devant leur responsabilités. M. Lazhar Mechregui, membre du bureau exécutif du syndicat des unités d'intervention nous a confié que cette visite intervient à point nommé pour cerner les principales revendications professionnelles et matérielles et négocier leur mise en application. Cela consiste, selon lui, en l'incrimination des agressions contre les agents de l'ordre et leurs familles, leur protection pendant l'exercice de leurs fonctions, l'amendement de la loi 69 relative à l'usage progressif de la force et la majoration de la prime de risque, actuellement évaluée à 20 dinars. « C'est ridicule de voir, aujourd'hui, un agent de l'ordre percevoir une telle prime qui n'arrive plus à remplir le panier de la ménagère », réplique M. Mohsen Marzouk, un des leaders de Nida Tounès, lors d'une discussion avec un groupe de manifestants. M. Marzouk a pointé du doigt la majorité élue à la Constituante d'avoir tergiversé et ignoré les forces de l'ordre pour ne pas répondre à leurs demandes. Les cercles de discussion ne cessent de se former ici et là, portant sur le devenir du pays, dans ce climat de tension et d'insécurité. Et les citoyens, venus de tous bords, n'ont pas manqué d'y prendre part. Un agent venu de Redayef pour partager les causes de ses collègues se plaint de ses conditions de travail et de sa situation matérielle. Entre-temps, les manifestants ont continué, côte à côte, à brandir les banderoles et hausser le ton pour défendre la sécurité du corps de la nation.