Abdelwaheb El Hani et sa fondation familiale «Al Majd pour les études stratégiques» ont, semble-t-il, décidé de traquer les jihadistes jusque dans leurs derniers retranchements et de leur mener la vie dure jusqu'à ce qu'ils reviennent au droit chemin. Le droit chemin, c'est bien le menu principal et unique qu'ont fourni, hier, les invités de la fondation Al Majd à une rencontre-débat sur «Le rôle du discours religieux en matière de lutte contre la violence et le terrorisme». Et ces invités, ce sont précisément les cheikhs zeitouniens que les plateaux TV ignorent ou ont décidé de bouder, savants érudits s'estimant et se proclamant comme les plus habilités à dire leurs quatre vérités aux jihadistes wahhabites, à démasquer leurs vils desseins et à montrer aux Tunisiens dans la tourmente la voie juste à suivre. Tous ont pratiquement tenu un même discours : la Tunisie n'a pas besoin de l'Islam wahhabite, la Zitouna et ses savants d'hier et d'aujourd'hui ont les moyens humains et intellectuels de faire échouer l'invasion wahhabite, de mettre à nu les véritables objectifs de ceux qui invitent les prédicateurs du Golfe qui viennent offenser l'Islam malékite dans son fief et pousser nos jeunes vers la voie de la «délinquance wahhabite», et enfin de sauver la Tunisie révolutionnaire de dévier et de sombrer dans une guerre religieuse. Férid Béji, directeur de «Dar Al Hadith zeitounienne» et ennemi juré de cheikh Béchir Ben Hassen, le chef des jihadistes scientifiques, appelle à la conclusion d'une charte nationale éthique à laquelle doivent souscrire tous les Tunisiens conscients de la menace terroriste jihadiste et prêts à l'affronter par le dialogue et la persuasion. Cette charte comporte plusieurs articles dont les plus importants appellent à : – Considérer l'union et la paix civile comme l'objectif suprême de la période transitoire. – Considérer tous les Tunisiens, quelle que soit leur appartenance, comme des partenaires dans la nation. – Lutter contre la violence dont l'usage est l'apanage exclusif de l'Etat. – Accélérer l'instauration de la justice transitionnelle. – Criminaliser l'atteinte à la vie des Tunisiens. – Considérer l'incitation à déclarer l'autre mécréant comme un crime. – Appeler les «leaders religieux» à adopter une position de neutralité absolue vis-à-vis des luttes et des tiraillements politiques. Le soufisme et l'image de l'Islam Cheikh Mohamed Abdallah Hares, représentant de la Ligue libyenne des ulémas, se proclamant lui aussi zeitounien, a longuement parlé des attaques subies par le mausolée de cheikh Abdessalem Lasmar en Libye. «La zaouia a été totalement détruite et la tombe de cheikh Abdessalem Lasmar a été vandalisée, en application de fatwas décrétées par des parties étrangères», a-t-il notamment expliqué. Les soufis ont également eu droit à la parole par l'intermédiaire de cheikh Hassen Ben Abdallah, président de l'Union des confréries soufies. «Contrairement à ce qu'on raconte sur eux, les soufis ont joué un rôle déterminant dans la propagation de la vraie image de l'Islam, la religion de la tolérance, de la modération et du dialogue», a-t-il martelé. «La clémence est bien notre méthode et nous ne sommes les ennemis de personne. Quant au jihad, nous considérons que le jihad suprême est bien celui de se contrôler soi-même, de diffuser les valeurs de la miséricorde et de l'amour de l'autre. Ceux qui déclarent les autres mécréants ignorent l'essence même de l'Islam» ajoute-t-il. Foued Allani, rédacteur en chef au journal La Presse et expert en sciences politiques et de la communication, a essayé de retracer la genèse de «l'industrie» du terrorisme pour faire remarquer que ce dernier rime aujourd'hui avec l'exclusion et refuse le dialogue ou l'écoute des autres. «Le terrorisme à caractère religieux ou prétendant purifier l'Islam ne date pas d'aujourd'hui. Il remonte à des décennies comme en témoigne l'attaque terroriste du 11 novembre 1979 qui a ciblé la grande mosquée de La Mecque. Le terrorisme religieux n'est pas aussi spécifique à l'Islam. Il sévit aussi parmi les autres religions. Le monde dans son ensemble est dans l'impasse, d'où les différentes définitions du terrorisme et l'incapacité à l'affronter en se basant sur une stratégie modèle qui serait valable pour tous les pays», a-t-il soutenu. L'esprit éclairé de la Zitouna Le Dr Mohamed Khelil, zeitounien et représentant de la confrérie chazélienne, a insisté sur la nécessité de faire face «aux semeurs de discorde, qui est pire que le meurtre lui-même, et qui sont les véritables architectes du terrorisme». «Le chauvinisme, le refus de l'écoute de l'autre, le rejet de la tolérance sont aussi les conditions qui ont balisé la voie au terrorisme. Il reste que la persuasion de ceux qui ont dévié du droit chemin est toujours du domaine du possible, par le dialogue et la bonne parole», conclut-il. Le dialogue toujours absent, la bonne parole qui ne trouve pour le moment que des oreilles sourdes sont justement la responsabilité incombant aux ulémas zeitouniens longtemps à l'écart et qui sont appelés, aujourd'hui plus que jamais, à assurer leurs responsabilités et à sortir de leur léthargie. Naceur Hani, juriste, souligne : «Il est temps que la pensée zeitounienne éclairée parvienne aux Tunisiens et que les jeunes découvrent un autre discours qui prône l'ouverture, la tolérance et le respect de l'autre, et là les médias ont beaucoup à faire. Qu'ils réalisent qu'il n'y a pas uniquement les jihadistes qui intéressent les Tunisiens, les zeitouniens ont eux aussi beaucoup à dire».