Par Abdelhamid Gmati Des imams et cheikhs tunisiens ont décidé, il y a quelques jours, de faire campagne contre tous ceux qui ont ouvert les portes de la grande mosquée Zitouna à l'enseignement du wahhabisme. L'imam Ferid El Béji, officiant à la mosquée de la Manouba et président de la Maison du hadith zitouni, a déclaré à une station radio: «Nous venons d'apprendre que le ministre des Affaires religieuses Noureddine Khademi a décidé de propager l'enseignement wahhabite dans tout le pays, à commencer par la grande mosquée Zitouna...Nous, anciens de la Zitouna, des associations de sauvegarde de l'enseignement zitounien, de l'union soufie et religieux malékites modérés, nous n'allons pas nous laisser faire et laisser ces personnes (prédicateurs) donner des cours axés sur la pensée de Mohamed Abdelwahab». Jeudi dernier, la Coalition des associations islamiques (CAI) a appelé à la mobilisation pour empêcher le prédicateur égyptien Mohamed Hassan d'effectuer une tournée de prêches wahhabites à travers le pays. Elle estime que cette tournée va créer des tensions religieuses, diviser le peuple et instaurer la fitna. Ce prédicateur, hier proche du régime de Moubarak, est devenu allié des frères musulmans et est connu, comme son compatriote Wajdi Ghanim, pour un fervent de l'excision des filles. Interdit l'an dernier, Mohamed Hassan a reçu son visa à l'invitation de plusieurs associations islamistes wahhabites, créées au lendemain des élections du 23 octobre, et avec l'aval des islamistes au pouvoir. A noter que selon un de nos confrères, les forces de sécurité auraient découvert qu'une centaine d'associations, sous couvert de charité, appartenaient en fait à la mouvance salafiste et recruteraient des jeunes Tunisiens et surtout des délinquants pour le jihad en Tunisie et à l'étranger. La venue de ce prédicateur crée la polémique. Si le député nahdhaoui, Habib Ellouze, lui- même adepte de l'excision des filles, pense que ce «prédicateur égyptien tiendra des discours modérés et ne va pas propager des discours wahhabites», Ferid El Béji estime que ce prédicateur a «un discours d'exclusion ; il diffuse une idéologie wahhabite et qualifie de mécréants tous ceux qui ne partagent pas ses idées». Même certains salafistes sont contre sa visite. Un autre prédicateur, saoudien celui-là, Khaled El Habachi, donne des conférences à des jeunes, concernant le traitement de la sorcellerie, djinns et mauvais œil, par la « médecine prophétique ». Il prône aussi le port du voile sous toutes ses formes. Les salafistes, dont le discours n'est pas très différent du wahhabisme, officient et sont partout avec la bienveillance des autorités. Après avoir investi un grand nombre de mosquées où ils distillent leurs discours et appels à la haine, ils font du prosélytisme religieux devant les établissements scolaires. Bien entendu, il est question, entre autres, de jihad en Tunisie, en Syrie et ailleurs. Dernièrement, on a découvert que ces courants islamistes, salafistes wahhabites s'adressent aussi aux zones rurales où ils distribuent des supports (tracts et autres écrits) ayant notamment pour titres et thèmes : « Le danger de la participation de la femme au travail avec l'homme », « Appel pour la libération de la femme », etc. Ces écrits sont l'œuvre d'un des idéologues wahhabites les plus extrémistes, Abdelaziz Ben Abdallah Ibn Al Baz. Cela se fait au vu et au su des autorités, voire avec leur complaisance. Le ministre de l'Enseignement supérieur a permis au chef islamiste Ridha Belhadj d'organiser une rencontre politique à l'Institut supérieur de théologie et des sciences religieuses de Tunis, sur le thème : « Révolution en Syrie : la réalité et les défis pour répondre aux campagnes dénigrantes ». Dans un concours de recrutement au ministère de l'Intérieur, les candidats avaient à répondre à des questions à connotation religieuse. « Qui est la première femme à laquelle on a amputé la main ? », « Quelle est la plus courte et la plus longue sourate coranique ? », « Qui a écrit le premier : Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux?, etc. Une polémique s'en est suivie et le ministère, après avoir dans un premier temps défendu son questionnaire, s'est résolu à annuler le concours et à ouvrir une enquête administrative pour délimiter les responsabilités de chacun. Espérons avoir un jour les résultats de cette enquête. On voudrait aussi avoir des éclaircissements sur le statut particulier des salafistes en prison et qui peuvent utiliser des portables, communiquant entre autres, avec le chef salafiste recherché Abou Iyadh. M. Jawher Ben Mbarak, du réseau Dostourna, a récemment appelé la société civile à lutter contre toute forme de violence et de terrorisme en Tunisie. Il a évoqué l'existence de «groupes non isolés, entraînés aux armes et à tuer et qui ont recours à la violence pour préparer le terrain à un projet sociétal et constitutionnel rétrograde». Cette violence présente depuis des mois continue avec l'agression, vendredi dernier, de syndicalistes à Sfax et avec les descentes effectuées à Ben Guerdane par des groupes de salafistes, agissant à la place de la police, pour saisir des quantités de boissons alcoolisées et des véhicules de transport. Il y a bien des religieux, bien de chez nous, comme M. Othman Battikh, mufti de la République, qui parle de l'Islam pratiqué depuis des siècles par les Tunisiens, ou le professeur Mohamed Talbi qui parle d'un Islam coranique, affirmant que « seul le Coran oblige, la charia n'étant qu'une fabrication humaine, un carcan élaboré par des hommes au 3e siècle de l'Hégire». Mais donne-t-on autant d'ampleur à leur enseignement ?