Par Hamma HANACHI L'enquête-sacrilège sur le Qatar que viennent de nous fournir Nicolas Beau et Jacques- Marie Bourget fait voler en éclats l'idée que nous avions de l'intégrité du personnel politique, culturel ou médiatique français. Leur ouvrage, paru récemment (avril 2013), porte un titre forcément vendeur et volontairement provocateur : Le vilain petit Qatar, sous-titré Cet ami qui nous veut du mal. (éd.Fayard). La couverture ne fait pas non plus dans le détail, elle porte les couleurs du minuscule pays conquérant et son drapeau est planté au sommet de la tour Eiffel. L'enquête est lancée à la vitesse du TGV, à chaque page ou presque, le lecteur découvre des personnages, issus des milieux politiques, médiatiques ou diplomatiques ou encore artistiques, qui ont goûté ou mangé dans la soupière des milieux financiers qataris. L'argent, dit-on, n'a pas d'odeur mais tout au long des 300 pages, nourries d'anecdotes et réparties en 3 chapitres: Le Qatar, un ami qui nous veut du mal, La diplomatie du chéquier et A la conquêt du monde, le lecteur apprend que l'adage sent la naphtaline tellement la réalité économique actuelle l'a malmené. L'ouvrage s'ouvre par la description du pays du désert, peuplé de 150.000 qataris, 3e producteur de gaz au monde après l'Iran et la Russie, il dégage 30 milliards de dollars de cash annuel, et se donne l'ambition d'envahir l'univers, avec pour seul outil de conquête : l'argent. 210 milliards de dollars d'investissement à travers la planète, le livre se clôt sur un sous -chapitre : A quand «Le Printemps» à Doha qui évoque la récente condamnation à quinze ans de prison du poète Mohamed Ibn El Ajami, pour avoir brocardé l'émir, en déclamant haut en janvier 2011 «Nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive» ; et lorsque Laurent Fabius, ministre des Affaires Etrangères du pays des Droits de l'Homme, est invité à s'expliquer sur le sujet, il noie le poisson: «La France est aux côtés des opprimés». Eclairant ! On en apprendra sur l'Etat des Droits de l'homme dans le petit émirat classé par le magazine britannique The Economist à la 138e place sur 157, juste derrière la Biélorussie. Des noms, des noms, réclame le lecteur. Les deux auteurs, le premier Nicolas Beau, professeur à Paris VIII, ancien du Monde, de Libération et du Canard enchaîné, actuel directeur du site Bakchich.info, connu par les Tunisiens pour avoir écrit La Régente de Carthage ouvrage paru sous le règne de Ben Ali et circulant sous le manteau, le deuxième Jacques- Marie Bourget a travaillé à France Inter, l'Express et Paris Match, lauréat du Prix Scoop, nous en livrent par paquets. A chaque passage ou presque, on découvre le nom d'une célébrité qui a fricoté avec l'émir, son puissant Premier ministre Hamed Bassam Jaber ou HBJ, la Cheikha Mouza, icône de la modernité ou l'un des innombrables intermédiaires. Et le tableau de chasse est éloquent. En haut de l'affiche des personnalités politiques, il y a sans surprise l'ex-Président Sarkozy, dont le quinquennat s'est distingué par l'affairisme et le tout-fric, curieusement, il se trouve des hommes apparemment insoupçonnables, tel son concurrent politique, Dominique de Villepin qui occupe une bonne place au tableau. Avocat du Qatar et amateur d'art, il est considéré comme un deuxième père par Mayassa, la fille de l'influente Cheikha Mouza et accessoirement, présidente du Qatar Musem Authority (QMA) , mécène qui a acheté pour près de un milliard de dollars d'œuvres d'art, rien que ça. Il serait trop long de citer les responsables qui fréquentent les couloirs des palais de Doha, presque tous les ministres, chefs de cabinets et amis de Sarkozy, les industriels, les financiers, les hommes de culture, les vedettes du cinéma, les architectes, les spéculateurs immobiliers, les analystes, médiateurs et «colloqueurs» français et arabes, les politiciens et responsables d'associations, imams de mosquées et ONG arabes, les écrivains et éditorialistes. On ne manquera pas ici de rendre hommage à deux hommes cités en exemple de probité et de droiture, Stéphane Hessel qui a renvoyé un chèque au «désintéressé» donateur et Jean-Marc Ayrault, Premier ministre du Président Hollande, qui a dit : «Il faut que je réfléchisse, avant de me rendre à Doha». Les auteurs insistent sur les sujets brûlants, souvent voilés : le rôle de la chaîne Al-Jazeera, celui de l'inoxydable mufti, cheikh Al Qaradhaoui, lequel apprend-on, au passage et selon son ex-femme algérienne, se rendait en Israël où il avait ses relations, l'Islam en France, l'achat des équipes de football, le PSG ou le logo du maillot du Barça qui montre aux yeux du monde les cinq lettres du mot «Qatar» et les coulisses de la préparation du Mondial 2022. Quelques anecdotes résument un chapitre entier, sur l'acquisition des palaces par exemple. En rachetant l'historique centre Kléber à deux pas de la place de l'Etoile, dans le vaste espace occupé par les bureaux des diplomates du Quai d'Orsay, l'émir est extasié, son chef de cabinet confie à ses interlocuteurs français: «Nous venons de rien, alors que vous avez, vous, deux mille ans d'histoire. C'est cela que nous venons acheter».