Washington ne décolère pas. Le verdict rendu le 28 mai dernier à l'encontre des assaillants de l'ambassade américaine à Tunis le 14 septembre 2012 continue à susciter l'inquiétude et la réprobation des Américains, péchant à leurs yeux par un excès de «clémence». Jugé comme «un échec» par l'ambassade américaine à Tunis, le jour où il a été prononcé, voici que le Département d'Etat américain prend le relais. Sa porte-parole, Jen Psaki, vient de déclarer: «Nous sommes inquiets de ces peines avec sursis. Nous demandons depuis longtemps une enquête plus approfondie sur cette affaire. Jusqu'à présent, nous n'avons rien vu de satisfaisant», a-t-elle en effet protesté à Washington devant un parterre de journalistes. Du côté des autorités tunisiennes, on garde le silence absolu. Ni la présidence de la République ni celle du gouvernement ou encore le ministère des Affaires étrangères ne se sont préoccupés de répondre aux déclarations américaines comme si ces déclarations concernaient un pays autre que la Tunisie. Seul le ministre de la Justice, Nadhir Ben Ammou, a pris le courage risqué de dire, lors d'une conférence de presse, que la position de l'ambassade US est «compréhensible dans la mesure où les Américains sont des victimes dans l'affaire, mais leurs déclarations ne constituent point une ingérence dans les affaires de la Tunisie». Comment les acteurs du paysage politique tunisien évaluent-ils le déroulement de cette polémique de trop et considèrent-ils qu'elle aura des conséquences sur les rapports tuniso-américains? La Presse a essayé de sonder les réactions de certains parmi les membres de la société politique et civile tunisienne. Réactions. Abdelmajid Ibdelli (professeur de droit et militant de la société civile) : Une double ingérence inadmissible Les rapports diplomatiques entre les pays sont gérés par la convention de Vienne en date de 1961 sur les missions diplomatiques. Cette convention impose aux diplomates le respect des lois et des décisions du pays d'accueil. La déclaration publiée par l'ambassade américaine dénonçant le verdict du 28 mai dernier constitue purement et simplement une violation caractérisée de la convention de Vienne. Quant aux propos de la porte-parole du Département d'Etat américain, ils représentent une double ingérence dans les affaires intérieures de la Tunisie. Pour moi, les USA continuent à considérer les Etats du tiers monde, y compris la Tunisie, comme des républiques bananières. D'ailleurs, les fax révélés par WikiLeaks montrent comment les Américains traitaient et traitent encore ces pays. Quant au silence radio observé par les autorités tunisiennes, il nous montre qu'elles sont incapables d'apporter la réponse idoine à cette ingérence inadmissible. La position exprimée par le ministre de la Justice est inappropriée parce qu'il défend les Américains, ce qui n'est pas son rôle. Son comportement et ses justifications démontrent que la justice n'est pas indépendante. Dans tous les cas, ce n'est pas à lui de répondre aux communiqués américains. C'est plutôt le rôle du ministre des Affaires étrangères. Abdelwaheb Héni (président du parti Al Majd) : L'urgence d'une réaction tunisienne ferme Les déclarations américaines représentent une ingérence manifeste dans les affaires tunisiennes et dans le déroulement de notre justice. Elles appellent une réaction ferme de nos autorités par la convocation sans délai de l'ambassadeur américain au ministère des Affaires étrangères pour explication et par la transmission d'une lettre de protestation de la part de notre ambassadeur à Washington au Département d'Etat américain. Les Américains comme pays concerné par l'attaque du 14 septembre 2012 à l'encontre de leur ambassade ont le droit d'exprimer leur avis, mais dans le respect de la souveraineté tunisienne et par le biais des canaux diplomatiques adéquats. Le silence de la Troïka est tout simplement inadmissible et traduit le malaise et la cacophonie dans la définition d'une politique étrangère unie et ferme. Nadhir Ben Ammou ne représente pas l'avis de la diplomatie tunisienne et n'avait pas à faire de telles déclarations. Il fallait une position ferme du chef de la diplomatie, du chef du gouvernement ou du chef de l'Etat. Abdelhamid Jelassi (membre du bureau exécutif d'Ennahdha) : Les verdicts doivent être à la hauteur des crimes Sur le plan des principes, nous soulignons au sein d'Ennahdha que l'Etat se doit d'assurer la protection des missions diplomatiques, d'arrêter tous ceux qui violent les lois, de les poursuivre devant la justice et de leur infliger les sanctions correspondant à leurs crimes et de réhabiliter les victimes. Il est également du droit de n'importe quelle victime, y compris les missions diplomatiques, de demander protection auprès des autorités et d'exiger de la justice de punir ceux qui leur portent atteinte. De leur côté, les autorités tunisiennes se sont engagées à traduire devant la justice ceux qui ont attaqué l'ambassade américaine à Tunis. Et c'est ce qui vient de se passer devant le Tribunal de première instance de Tunis. Le gouvernement tunisien a exprimé clairement sa position vis-à-vis du jugement rendu, et ce, à travers la décision du ministère d'interjeter appel, ce qui montre que les autorités ne sont pas satisfaites du verdict en question. Au sein d'Ennahdha, nous sommes attachés au respect de l'indépendance de la justice. En parallèle, nous appelons à ce que ceux qui violent la loi soient sanctionnés, au cas où leur culpabilité serait établie, à la mesure des crimes qu'ils ont commis.