Par Habib CHAGHAL Ce qui s'est passé en Egypte n'a rien d'étonnant, ce qui est plutôt surprenant c'est l'absence de réaction de la part du peuple tunisien au sujet de l'illégalité de la Constituante après le 23 octobre 2012. Récemment, l'un des dirigeants du CPR, Abdelaziz Krichène a eu raison de dire que la révolution tunisienne avait été trahie par un coup d'état, sous-entendu que ce ne fut pas le cas pour la révolution égyptienne. En fait, Il serait plus exact de dire que la révolte de la jeunesse tunisienne n'avait pas eu le temps de se transformer en une véritable révolution embrassant toute les composantes de la société. On rappelle, à ce propos, le refus de l'ancien ministre des Affaires étrangères Ounais de comparer, publiquement, les soulèvements de décembre 2010 à une vraie révolution ce qui lui a valu la perte de son poste. Pour le commun des Tunisiens, après vingt mois de pouvoir de la Troïka, l'impression est qu'il y a eu tout simplement un changement de direction à la tête de l'Etat. Le parti Ennahdha a remplacé le RCD au pouvoir avec moins de compétence et moins d'efficacité et ce dans la plupart des domaines qui touchent directement le quotidien des Tunisiens. Pour la majorité de l'opinion publique, tous les arguments présentés par les nahdhaouis pour justifier l'échec de la politique du gouvernement sont plutôt perçus comme des palliatifs pour masquer leur incompétence dans la gestion des affaires de l'Etat. Alain Duhamel, le célèbre journaliste français, répète souvent que la politique est une profession qui s'acquiert par un long apprentissage au sein des structures de l'Etat. Incapable de gérer les affaires du pays, le parti majoritaire se contente de prendre des mesures en vue de satisfaire son électorat minoritaire dans le pays (18% de la population en âge de voter) faisant comme si la moitié de la population qui n'a pas participé au vote n'existait pas. Toute catégories confondues, les hommes politiques tunisiens se contentent de démêler durant prés de vingt mois l'imbroglio du projet de la constitution à l'image de l'Egyptien Morsi qui a fait de la légalité un cheval de bataille pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir. En fait la mouvance des Frères musulmans n'a rien compris à l'évolution des sociétés égyptienne et tunisienne. Pourtant dans une opinion publiée par La Presse le 18 avril 2011 bien avant les élections de la Constituante, j'avais averti «que nous sommes en face de deux projets de société, celui de Bourguiba le réformateur et celui des islamistes; ces projets sont condamnés à s'affronter tant que le mouvement islamiste continue à réclamer l'espace public pour son projet». Or, non seulement les nahdhaouis ont investi tous les rouages de l'Etat par des désignations abusives dans la haute sphère de l'administration, mais ils continuent à livrer bataille sur tous les fronts pour éliminer leurs adversaires politiques potentiels, ceux qui ont participé à l'édification de notre société moderne et placé notre pays à la tête des pays africains et arabes dans la plupart des domaines. S'il est vrai, par ailleurs, que comme l'a déclaré récemment l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Hervé de Charette, que la Tunisie est le pays le plus apte à réussir sa transition démocratique, il est non moins vrai que cela ne pourrait avoir lieu qu'à condition que le parti majoritaire abandonne ses prétentions d'imposer son modèle à la société tunisienne. Alors que le mouvement «Tamarrod» tunisien pointe à l'horizon, la Tunisie a tout intérêt à éviter le risque de changement à l'égyptienne, pour cela il faudrait que les partis politiques et l'Ugtt se mettent d'accord, dès aujourd'hui, pour devancer ce mouvement en créant un comité groupant tous les partenaires de la vie politique et de la société civile y compris les jeunes de Tamarrod afin de tourner la page des années de braise et s'atteler à élaborer des programmes de développement destinés à toutes les régions s'adressant notamment à la jeunesse et ce en associant toutes les compétences sans exclusion. Comme signe de bonne volonté, trois mesures devraient être prises d'urgence : l'annulation du projet de loi dit «de l'immunisation de la révolution», la révision des désignations, au cours de la dernière année, des hauts responsables de l'administration et la formation d'un gouvernement de compétences. Dans une récente analyse de la situation politique en Tunisie publiée sur sa page facebook, l'un des ténors de l'opposition tunisienne au pouvoir de Ben Ali, Taoufik Mathlouthi prédit la fin prochaine de la mouvance islamiste tunisienne «en raison du comportement irresponsable de la direction du mouvement Ennahdha» et invite ses anciens amis appartenant à ce mouvement à changer complètement de vision politique s'ils désirent conserver une présence sur la scène nationale durant les prochaines années. La souveraineté appartient constamment au peuple et si, dans le passé, le mandat populaire était concédé provisoirement et pour une période bien déterminée à une représentation élue au suffrage universel, le peuple égyptien a montré au monde entier qu'il peut retirer ce mandat quand il le désire c'est-à-dire quand il découvre qu'il s'est trompé dans les urnes. N'attendons pas que le mouvement de la jeunesse tunisienne Tamarrod, qui vient d'appeler à de grandes manifestations pour les prochains mois, accule le président, le gouvernement et la Constituante à quitter le pouvoir à la manière de l'arrogant Morsi.