Par Habib CHAGHAL Dans une précédente opinion publiée par ce journal, j'ai invité le président du parti Ennahdha à renoncer publiquement au projet de société contenu dans la charte de son mouvement le MTI et de rompre ainsi avec les principes fondateurs de ce mouvement. Car la gravité de la crise actuelle n'est nullement due à une crise du gouvernement en dépit de l'incompétence qui caractérise l'action de ses ministres, elle n'est pas non plus le résultat des conflits qui secouent la classe politique dans toute sa diversité, mais tout porte à croire que la situation actuelle, qui risque de nous amener au bord de l'inconnu, est essentiellement engendrée par la méfiance envers l'action souterraine des responsables à tous les niveaux de ce parti pour mettre la main sur les rouages de l'Etat depuis la formation du gouvernement. L'erreur initiale fut commise par les constituants appartenant au groupe majoritaire durant les débats sur la définition de l'identité de l'Eftat tunisien, dévoilant ainsi leur volonté de se référer régulièrement au programme du MTI pour imposer un projet de société qui est rejeté par la grande majorité des Tunisiens; au même moment les ministres nahdhaouis ne perdirent pas de temps pour noyauter les structures de l'Etat au nom de la lutte contre la corruption (plus de 1.000 nominations); entre-temps des dizaines de mosquées ont été investies par des imams «désignés par les croyants», une ligue «de défense de la révolution» s'est imposée à travers ses sections dans toutes les villes et les localités du pays; enfin des dizaines de zaouias ont été brûlées ou saccagées. Quand, par ailleurs, un laisser-aller a permis à des centaines de jeunes tunisiens d'aller se faire tuer en Syrie, en Algérie et au Mali au nom du djihad, on est en droit d'en conclure que le parti majoritaire qui gouverne le pays est loin de se comporter en parti politique avec comme objectif exclusif la gestion temporaire des affaires de l'Etat afin d'assurer avec le maximum de consensus la transition vers un Etat démocratique. Le chef du gouvernement, M. Hamadi Jebali, s'est rendu compte après seize mois de gouvernement que la gestion des affaires de l'Etat est encore plus difficile qu'il ne le pensait au moment où il a pris la relève de M. Essebsi, son prédécesseur. Le gouvernement de compétences indépendantes qu'il a proposé à ses partenaires politiques le 6 février ne fut qu'une habile manœuvre politique afin d'amortir le choc causé par le meurtre de Chokri Belaïd Les déclarations répétées du président d'Ennahdha concernant «un dialogue possible entre les islamistes et les modernistes» a fini par créer chez les membres de son mouvement et ceux qui sont sur sa périphérie l'impression qu'au sein de la société tunisienne, il y a les bons musulmans, c'est-à-dire ceux qui soutiennent Ennahdha, et il y a les autres. La peur s'est alors installée au sein de la classe politique aussi bien au sein des islamistes qui craignent de perdre le pouvoir censé les rapprocher d'un Etat islamiste que les défenseurs de la société moderne qui s'accrochent aux acquis sociaux de l'ère Bourguiba. Le refus de Ghannouchi de dialoguer avec le parti de Caïd Essebsi est la conséquence de l'engagement du leader islamiste envers les faucons de son parti qui manquent de maturité politique et qui n'arrivent pas à se démarquer de l'ère du MTI, un mouvement islamiste extrémiste. Le problème de Ghannouchi est qu'il s'est refusé de se débarrasser, lors de la révision de l'idéologie du MTI et la création du parti Ennahdha, de tous ceux qui ne croient pas à cette remise en cause. Pourtant, c'est l'unique solution pour endiguer la peur dans les deux camps et installer la concorde au sein de la population afin de remettre le pays sur la voie de la démocratie et des libertés. Pour cela, il devrait s'engager pour un gouvernement de compétences nationales présidé par une personnalité indépendante de faire désigner l'équipe de Jendoubi à la tête de l'Isie et de renoncer à son projet d'éliminer ses adversaires politiques par une loi. Saura-t-il s'engager publiquement à se démarquer de l'idéologie de son mouvement fondateur anachronique et de se réconcilier avec une réalité sociale multidimensionnelle issue d'une évolution naturelle imposée par la géographie et l'histoire et fondée sur l'intelligence ?