Par Abdelhamid GMATI Notre Premier ministre, M. Ali Laârayedh, estime que l'adoption de la bonne gouvernance dans la gestion des rouages administratifs de l'Etat est «un choix de principe». Cela explique la détermination du gouvernement à réformer le système de contrôle et la mise en place d'une stratégie nationale de lutte contre la corruption, présentée en décembre 2012; cela outre l'adoption d'une charte de conduite et d'une déontologie professionnelle dédiée aux structures publiques de l'Etat. C'est que les rouages de l'Etat sont directement concernés par cette gangrène qu'est la corruption dont les effets sont dévastateurs, non seulement sur l'économie du pays, mais aussi sur les individus. Dans son «Baromètre mondial de la corruption» dont l'édition 2013 vient d'être publiée, l'organisation internationale «Transparency International» révèle que sur 1 000 Tunisiens interrogés, 67% estiment que la corruption a augmenté ces deux dernières années. Ailleurs à travers le monde, les sondés partagent ce sentiment. Les Tunisiens pointent du doigt en premier lieu l'administration publique (surtout la fiscalité) comme principale «gangrenée» et aussi plusieurs autres secteurs, les partis politiques, les députés, les organisations non gouvernementales, la police, la justice, l'éducation, la santé. 58% ont déclaré avoir versé ou connaissent quelqu'un qui a versé des pots-de-vin. C'est dire que ce mal est grave et touche toutes les catégories de la population. Le gouvernement prend les choses très au sérieux et prend des mesures qu'on espère efficaces. Rappelons d'abord ce que l'on entend par «corruption». Lapidairement dit, c'est «l'utilisation abusive d'un pouvoir reçu par délégation à des fins privées comme l'enrichissement personnel ou d'un tiers». Elle prend plusieurs formes : – les dessous de table, pots-de-vin, bakchichs... – la fraude (falsification de données, de factures...) – l'extorsion (obtention d'argent par la coercition ou par la force)... – concussion (recevoir ou exiger des sommes non dues dans l'exercice d'une fonction publique, en les présentant comme légalement exigibles) – favoritisme, népotisme (favoriser des proches) – détournement de fonds publics... – distorsion de la concurrence dans les marchés publics... Dans un premier temps, les autorités se sont intéressées particulièrement à ces marchés publics et veulent instaurer un système régulateur éliminant cette distorsion. Le ministère de la Justice travaille aussi à révéler et à transférer aux tribunaux des centaines de dossiers de corruption commis sous le régime dictatorial et impliquant la famille régnante, ses proches et d'autres hommes d'affaires. Mais s'il est nécessaire de demander des comptes et d'essayer de récupérer une partie des biens et avoirs publics spoliés, il est non moins nécessaire de s'intéresser à ce qui se passe maintenant, ne serait-ce que pour prévenir et limiter le mal. Il se trouve que, d'après l'organisation internationale, la corruption s'est aggravée depuis deux ans. Comment et pourquoi ? Dans les faits, on assiste à une lutte acharnée pour le pouvoir. On a établi que, lors des élections supposées transparentes, on a distribué de l'argent pour gagner des électeurs ; on continue à en distribuer pour renforcer les foules appelées à des manifestations politiques ; on paie des milices privées appelées «salafistes» et «ligues de protection de la révolution», des gouvernants s'octroient des primes, des avantages, des maisons, des terrains, des voitures luxueuses, des voyages camouflés sans que l'on sache l'origine des fonds. Certes, on a parlé de transparence et on en parle encore. On a demandé aux responsables de déclarer leur patrimoine. L'an dernier, 2.400 d'entre eux (5.000 ont été recensés par le ministère concerné) ont effectivement fait cette déclaration. Si l'on étend la notion de « responsable » à toutes les administrations publiques, on arrive au chiffre de 100.000. Sans compter les titulaires des nouvelles nominations qui l'ont été, non pas pour leurs compétences, mais pour leur appartenance à des partis au pouvoir. Cela s'appelle du népotisme. Mais il ne faut pas s'y tromper : la corruption n'affecte pas seulement les gouvernants, les responsables, les dirigeants, elle s'étend au citoyen lambda qui, par ses moyens limités, est disposé à verser un pot-de-vin ou à en recevoir pour obtenir ou octroyer un service ou un bien illicite. Faut-il donner, alors, raison à ce célèbre général français qui constatait que «la révolution n'enlève pas les privilèges, elle en change seulement les bénéficiaires».