Par Khemaïs FRINI* Le 23 octobre 2011, le peuple tunisien élit une Constituante lui donnant ainsi un mandat pour l'élaboration d'une constitution dans un délai d'une année. Il se retrouve le 24 au matin avec un parlement... sans constitution, sans contrôle et sans limites. A la première séance, les députés vont voter contre la durée d'un an qu'ils ont eux-mêmes signée et paraphée. Les élus se retournent déjà contre leurs propres engagements et contre la volonté de leurs électeurs. Ce sont les électeurs qui, en pleine connaissance de cause, ont décidé par leur vote d'accorder aux élus cette durée d'un an. Toute modification de cette durée devait requérir l'aval des électeurs ou, à la limite, un consensus national. Rien de tout cela ne se fit. On s'entête à dire que la Constituante est maître absolu d'elle-même. Si l'on demandait l'avis du Tribunal administratif, on aurait des surprises. Et il n'est pas étonnant que la dissolution de l'ANC soit prononcée sans avoir besoin d'un sit-in au Bardo. Dès les premiers jours de la Constituante, on avait donc pressenti la conspiration. La majorité des Tunisiens comptait sur l'éthique et le sens moral de ses élus. Dans l'euphorie de la Révolution, ils étaient à mille lieues de penser que leurs élus pouvaient les trahir et abuser de la confiance placée en eux. La déception des électeurs commençait à se lire sur les visages. Ecrire une Constitution sur fond de conflit politique et sociétal, voire idéologique, est une mission vouée à l'avance à l'échec. La Constituante a réussi le pari de devenir le creuset de la discorde nationale en nous gratifiant d'une Constitution qui divise encore et encore les Tunisiens. Cette division a été savamment initiée par les islamistes d'Ennahdha favorisant une crise artificielle d'identité et l'absence voulue de consensus entre les citoyens d'une part et entre les citoyens et leurs représentants d'autre part. Le temps où les Tunisiens se dressaient comme un seul homme pour dire non à la dictature de Ben Ali semble bien loin. Ce faux démarrage aura bientôt des conséquences sérieuses. La vigilance de la société se réveille petit à petit et s'accroît. La population sent la division se répandre dans ses rangs. La joie de vivre et la fierté née de la révolution s'estompent .Une anxiété s'empare des citoyens, en particulier les femmes qui sont souvent l'objet d'attaques morales et même physiques. . Le parti Ennahdha ne joue pas franchement le jeu de la démocratie. Ses fans, loin de se comporter comme des citoyens démocrates à l'esprit critique, sont mobilisables au quart de tour pour le meilleur et pour le pire au service de leur parti et non de la Nation. Ils s'attaquent aux fondamentaux de la démocratie à savoir la liberté de presse d'opinion et d'expression, l'indépendance de la justice et de l'administration. Le paradoxe de ces Islamistes est qu'ils ne saisissent pas que ces libertés leur sont nécessaires en premier lieu à eux avant les autres vu les affres qu'ils ont vécus. Mais apparemment, ils préfèrent parier sur le pouvoir plutôt que sur les libertés pour se prémunir contre toutes les surprises. Et cela explique tout. En somme, les objectifs de la révolution semblent avoir déjà viré. Contrairement aux principes de la République, on veut que L'Etat soit au service du gouvernement et non l'inverse. L'amalgame Parti/Etat est de retour... Tout indique que le souci des gouvernants est de mettre l'administration censée servir l'Etat sous tutelle de leur parti. Les Tunisiens commencent à sentir le vent d'un despotisme d'assemblée souffler sur le pays. Ils réclament la dissolution de la Constituante. Celle-ci a été le creuset de la discorde nationale. Elle a consacré le cumul des pouvoirs. Un régime inédit ou le parti arrivé premier dans les élections dirige le gouvernement. Il désigne le gouvernement et le président qu'il peut dégommer tous les deux à tout instant. Cette assemblée ne peut en aucun cas être dissoute. Sa durée est illimitée dans le temps et c'est elle-même qui décidera de la fin de ces travaux. Ce régime est rare non seulement dans les démocraties mais aussi dans la plupart des pays. Les Tunisiens ne semblent plus accepter cette situation. Ils se rendent compte que le gouvernement est incapable d'assurer convenablement ses responsabilités qui consistent à garantir la sécurité des citoyens et de leurs biens sans distinction de leur appartenance idéologique... Ils réclament que soient mis hors d'état de nuire les hors la loi des ligues de protection de la révolution qui, face à l'impunité et à l'incapacité du gouvernement, perpétuent leur forfait pour démolir le tissu sociétal en s'attaquant aux citoyens au vu et au su de tout le monde.. Quand les élus ne s'acquittent pas de leur mission pour laquelle ils sont élus, leur légitimité électorale est caduque et leur moralité est mise en doute. L'Assemblée constituante ne peut se substituer au peuple. La ligne rouge c'est la souveraineté du peuple et non celle des corps élus. Le vide politique, s'il existe, ne peut être engendré que par cet abus de confiance des élus. En démocratie, la légitimité électorale est tributaire du respect des élus de la règle du jeu démocratique qui présidait à leur élection. Se retourner contre cette règle du jeu, c'est renier sa propre légitimité .Celle-ci disparaît pour «non-exécution de contrat» entre les élus et le peuple détenteur de la souveraineté ... La légitimité électorale ne tient pas la route quand la mission principale pour laquelle les partis sont élus n'est pas assurée. C'est la corruption de la démocratie. A défaut de trouver une issue, la classe politique peut connaître des déboires. La Troïka se lamente que l'assemblée n'ait pas eu le temps d'achever ses travaux. Doit-on plutôt se réjouir qu'elle n'ait pas eu assez de temps pour ficeler et institutionnaliser le despotisme d'assemblée. Ce genre de despotisme est si pernicieux et difficile à combattre qu'il se couvre de la légitimité électorale. * (Ingénieur)