Par Hamma HANACHI Fatalement, à chaque fois qu'il prend position sur les affaires du monde, Bernard Henri Lévy capte les radars des politiciens, des commentateurs et des journalistes. Si un penseur se reconnaît à sa capacité de soulever les indignations, de provoquer la polémique, l'écrivain, philosophe, politicien, cinéaste répond à cette définition. L'intervention militaire, avec ou sans l'aval de l'ONU, annoncée par les Etats-Unis et la France contre la Syrie est pour lui une nécessité, un devoir de chaque citoyen épris de liberté et de droit, surtout celui d'ingérence. BHL, appelons-le ainsi, puisque ces trois lettres, sitôt prononcées, à elles seules suscitent la controverse, veut cette guerre, il l'a déclaré suite à la «libération et la pacification libyenne» lorsqu'en costume et chemise blanche au milieu des combattants armés il disait souhaiter «que cette action puisse se répéter en Syrie», le temps de ses vœux est arrivé, l'attaque est proche, le penseur jubile. Dans son hebdo «Le Point», BHL, bénéficiant d'une large audience, en stratège exemplaire, accouche d'une chronique intitulée Que veut la Russie? Un texte ravageur qui frappe fort, une forme de déclaration de guerre contre la Syrie, qui a secoué beaucoup de lecteurs et soulevé d'ardentes réactions. Du style bien sûr, une rhétorique déclamatoire, dramatique, empli de bons sentiments. Ca se résume à ceci. «Pas de question non plus sur la nécessité d'une riposte, la morale l'exige, la cause de la paix le demande...». Nous voilà édifiés sur les intentions, sur la position du philosophe, mais sur les bien-fondés, les vrais motifs, sur les vrais objectifs de la guerre et ses conséquences, on ne saura rien. BHL a eu sa guerre et sa photo en Libye, il en est fier, avec des milliers de morts et des résultats catastrophiques, le cynisme de ses ambitions ne s'arrête pas à Benghazi, avant même de connaître les résultats des observateurs de l'Onu, écartant d'un revers de main les révélations de Carla Del Ponte sur l'utilisation des armes chimiques, à contre-courant des démocrates pacifistes, il défend obstinément que «l'assassin» Bachar Al Assad a gazé la population. Sans prendre la distance requise pour un analyste politique, il fonce la tête en avant, avec son style inimitable, à la fois simple et grandiloquent, sans donner plus de preuves ou de contrevérités que celles fournies par les va-t-en guerre et surtout sans le doute qui devrait habiter un philosophe. Lui, défend l'Armée syrienne Libre (ASL) sans nommer ceux qui la composent. BHL veut nous faire croire que l'opposition est constituée de démocrates, intellectuels éclairés, à l'image de ses amis syriens vivant à Paris, Londres ou Washington. Il omet d'ajouter que ces amis ont développé des relations sûres, trouvé des soutiens et des fonds dans les pays hôtes pour attaquer le régime syrien, cette diaspora qui prend de l'ampleur tient un discours décollé de la réalité, fondé sur des arguments dépassés et caducs. Quand à la nature de l'opposition armée que BHL feint d'ignorer, qu'il ne désigne pas, on lui rappelle qu'elle est composée de salafistes qui ont amassé de grandes quantités d'armes, de branches d'Al Qaïda, poseurs de bombes, de jihadistes radicaux et de jeunes filles pour assouvir les instincts du bas ventre; ces «opposants», fournis en armes par les grandes puissances, conduisent les manœuvres et les batailles sous le contrôle des Qataris et des Saoudiens. De ceux-là, comme de ceux-ci, qui financent la guerre, il ne dit mot, cela va de soi. BHL n'a pas vu, (ça ne l'intéresse pas ou si peu), les mères de jeunes recrutés pour le Jihad crier, pleurer leurs fils morts dans un affrontement qui ne les concerne pas. Pour elles, la guerre, ce n'est pas des chiffres, encore moins un agenda politique, mais des êtres disparus, il ne voit pas les villes syriennes réduites en ruine, les deux millions d'exilés... Face à ces souffrances, à ces cris et à ces larmes, BHL est aveugle et sourd, il pense plutôt à sa photo en chemise blanche au milieu des jihadistes dans Damas «libéré». Sa morale politique est simple, claire : la vérité est noire ou blanche, le doute n'existe pas, le mal c'est les autres, Al Assad, et ceux qui le soutiennent; la Russie, l'Iran en font partie ; le bien c'est lui, ses amis, ses réseaux, les Américains décidés à faire la guerre et les Français prêts à intervenir. Effrayante morale en somme.