La Troïka a coulé depuis belle lurette. Le plus grave c'est qu'elle entraîne les institutions et l'Etat dans le remous de son naufrage Les faits graves se succèdent. La semaine écoulée est à marquer d'une pierre noire. L'indépendance de la justice, la liberté de la presse et le dispositif sécuritaire sont gravement touchés. Au vu et au su de tout le monde. A la bonne franquette, comme au moment des pires dictatures. Au moment où l'on s'attendait à une salutaire sortie de la crise gouvernementale, on envenime encore la donne. Les récentes nominations au sein notamment du ministère du Transport sont significatives. On n'est pas sorti de l'auberge. Et l'on n'en finit guère de se comporter avec l'Etat comme face à un butin ou à un fief féodal. Qui plus est à la sauvette. Et puis ces révélations scandaleuses sur le grenouillage du dispositif sécuritaire. Onze jours avant l'assassinat de Mohamed Brahmi, les services secrets américains, la CIA précisément, alertent le ministère de l'Intérieur sur cette éventualité. Mais on occulte. On tergiverse. En d'autres termes, on laisse faire. L'affaire est tue. A dessein. Elle n'est ébruitée qu'un mois et demi après l'assassinat. Le gouvernement s'en explique du bout des lèvres. On diligente une enquête. Tout au plus. Et l'on feint d'ignorer qu'il y a eu mort d'homme. Un élu du peuple, qui plus est leader d'un parti politique. Assassinat terroriste en bonne et due forme, le jour même de la célébration de la fête de l'Indépendance. L'inconscience, voire l'inconsistance, de ceux qui nous gouvernent est effarante. Sous d'autres cieux, un fait aussi gravissime fait tomber des têtes. Au moins la démission du ministre de l'Intérieur et de son staff. Si ce n'est plus. Mais on nous berne avec du verbiage creux, des jeux de mots, des appels à être unis derrière les forces de l'ordre. Comme si réclamer justice s'apparentait à sédition. Et pour faire en sorte que la grogne n'enfle, on multiplie les fronts de la diversion et les abcès de fixation. Le loup, incapable d'entrer au poulailler, y fait remuer sa queue. A défaut de trucider les victimes, on les maintient dans la peur panique. «Haouilhom wa la tkhallihom rgoud», comme le signifie si bien la sagesse populaire. Dans l'affaire de l'arrestation arbitraire du journaliste Zied El Héni, affaire qui n'en finit pas de défrayer la chronique, le fourvoiement délibéré saute aux yeux. Pourtant, les juges à l'origine de l'émission du mandat de dépôt arbitraire ne sauraient être accusés d'ignorer la loi et les procédures. A preuve, le jour même de la détention de Zied El Héni, le mouvement annuel dans le corps de la magistrature annonce que les deux juges en question ont été promus. Ce qui révèle au grand jour l'ampleur du déni de justice. Et du tournemain d'une justice expéditive et aux ordres. Ainsi font, font, font trois petits ronds et puis s'en vont ! Et si cette affaire, accolée aux autres où des journalistes et des gens des médias sont en cause, n'était que de la poudre aux yeux et une manipulation de la part du gouvernement et du parti qui le domine, ou de la poudre aux yeux, pour faire oublier documents graves occultés, nominations et autre blocage d'une sortie à la crise ? L'interrogation est justifiable et même légitime ? Aujourd'hui, sous nos cieux, il y a un immense bras de fer. D'une part, l'opinion exsangue, dégoûtée, qui n'en peut plus des subterfuges et traquenards de la politique politicienne. De l'autre, un gouvernement en faillite, mais qui joue indéfiniment les prolongations. Et à force de traîner en longueur, la crise vire au cauchemar généralisé. Economiquement, on frise la banqueroute sous peu, à défaut d'un sursaut rageur et d'une prompte reprise. Les clignotants sont au rouge. Les prix augmentent vertigineusement, le pouvoir d'achat s'émousse et fond comme neige au soleil, l'insécurité sévit. On aborde la rentrée sous le triple label de l'échec : économique et social, sécuritaire, politique. Le terrorisme, qui frappe tragiquement et bruyamment à nos portes depuis quelques mois, y trouve son compte. Nous sommes confrontés à une bataille inégale. En face, les ramifications tueuses d'Al Qaïda, de l'Internationale terroriste et du crime organisé. Réactifs par la force des choses, nous leur opposons des troupes sans bannière ni stratégie, le ban et l'arrière-ban épars, désorganisés, voire désorientés. Et surtout, dans cette bataille décisive, il n'y a guère de chef, qu'il s'agisse d'une personnalité consensuelle, charismatique, d'un parti ou d'une coalition et d'un programme clairement défini. La Troïka a coulé depuis belle lurette. Le plus grave c'est qu'elle entraîne les institutions et l'Etat dans le remous de son naufrage. Au risque d'hypothéquer, pour longtemps encore, le vécu et le devenir de générations entières de Tunisiens.