Le mouton espagnol arrivera-t-il cette année à séduire le Tunisien? 12.000 têtes d'ovins de la race mérinos, en provenance d'Espagne, séjournent dans les enclos couverts de la société Ellouhoum. Malgré un déficit de 3 millions de dinars suite à l'importation l'an dernier de 75.000 têtes destinées à l'approvisionnement du marché, la société Ellouhoum a, encore une fois, misé sur l'importation pour fixer un prix référentiel et contrecarrer ainsi la spéculation. «Il existe deux formes de régulation du marché, explique Sofiane Massoudi, directeur d'Ellouhoum. Nous importons des moutons soit pour équilibrer le marché local lorsque la demande est supérieure à l'offre, soit pour définir un prix de vente qui serve de référence aux acheteurs. Cette année, le prix de référence a, d'ores et déjà, été fixé à 8D900 le kg vif juste ce qu'il faut pour couvrir les dépenses liées au coût du transfert, du transport et de l'alimentation. Il ne s'agit pas d'une opération commerciale, le bénéfice n'est pas notre objectif", souligne M. Massoudi. " L'année dernière, le ministère de l'Agriculture nous a signalé un déficit de 100.000 moutons, c'est pour cette raison que nous avions importé 75.000 moutons de Roumanie», explique encore le directeur. Mais les problèmes rencontrés lors du transport de ces moutons roumains, qui sont parvenus dans un état de stress et de fatigue extrême (6 heures de traversée), ont obligé la société Ellouhoum d'opter cette année pour l'Espagne, pays réputé pour avoir une filière ovine bien structurée. Vétérinaires et techniciens dépêchés en Espagne Un mois avant le transfert, une équipe d'agréage, composée de vétérinaires et de techniciens, a été dépêchée auprès du fournisseur espagnol pour contrôler l'état sanitaire des moutons et vérifier la nature et la qualité de leur alimentation. Ces ovins qui seront mis en vente à partir d'aujourd'hui, vendredi, influeront probablement sur le prix du mouton "arbi" qui oscille entre 11 et 13 dinars le kilo vif et qui reste hors de portée des bourses moyennes. Concurrencé par le mouton espagnol et conditionné par l'offre et la demande, ce prix pourrait baisser au cours des prochains jours. Dans le marché à bestiaux situé un peu plus haut, à quelques centaines de mètres de la société Ellouhoum, des camions qui transportent des moutons sont stationnés en file indienne. Les clients se font encore rares dans la grande cour où ont été conduits des animaux de moyenne et de grosse corpulence, originaires de Menzel Bourguiba, El Fahs, Siliana... Un mouton pesant une quarantaine de kg est proposé à 550, voire 650 dinars soit deux cents dinars de plus qu'un mouton espagnol de même poids. Un prix qui déplaît à un des acheteurs venu sur place se faire une idée des prix. Selon Aziz Bouhejba, membre du bureau exécutif du Syndicat national des agriculteurs, le prix du mouton local est directement conditionné par un coût de production de plus en plus élevé. Il faudra agir sur les facteurs responsables de la hausse du coût de production pour espérer une baisse du prix de vente du mouton. Or, ces derniers sont nombreux. A défaut de mouton algérien Un élevage d'ovins femelles coûterait environ 30.000 dinars de frais alors que les bénéfices annuels nets ne s'élèvent qu'à 7.000 dinars. C'est ce qui explique le fait que nombre d'éleveurs ont renoncé à l'élevage des femelles pour se reconvertir en engraisseurs de moutons en provenance d'Algérie, car cela leur revient moins cher. «Au cours des dix dernières années, on a importé des moutons d'Algérie, c'est ce qui a permis de réguler jusqu'ici le marché. Jusqu'à récemment, la viande du mouton d'Algérie a représenté près de 30% du marché des viandes rouges». Mais au cours de ces deux dernières années, on n'importe plus autant de moutons d'Algérie qu'avant. Et pour cause. Primo, la valeur du dinar tunisien par rapport au dinar algérien a chuté. Secondo, face aux besoins croissants du marché algérien, les éleveurs de ce pays voisin ne veulent plus vendre leurs moutons. Or, les moutons en provenance d'Algérie permettaient de maintenir le coût par tête ovine locale à un niveau abordable. Ce n'est pas tout. D'autres facteurs sont également à l'origine de la hausse de ce coût de production. D'abord, l'abattage sauvage tout au long de l'année des moutons mâles et femelles a entraîné une baisse de leur nombre. Puis, la sécheresse, qui a sévi l'année dernière, a entraîné un déficit de la production céréalière et une flambée des prix de l'orge et de l'avoine, qui a fini par se répercuter sur le coût de l'alimentation des ovins. «Le coût de la balle de foin dans certains marchés de bestiaux a atteint 15D au lieu de 7D, explique Aziz Bouhejba. Or, le coût de l'alimentation représente une composante importante des frais et dépenses liés à l'élevage. Cela va forcément se répercuter sur le prix de vente». Faudra-t-il continuer d'importer des moutons de l'étranger pour contrôler le prix de vente sur le marché ? «Oui, tant que des mesures de fond ne seront pas prises, observe le directeur de la société Ellouhoum. Ces mesures de fond consistent à appliquer la loi en vigueur en matière d'abattage clandestin, activer les schémas directeurs des abattoirs, accorder des subventions aux éleveurs pour l'alimentation des moutons et surtout organiser la filière des viandes rouges».