Par Néjib OUERGHI Tous les espoirs des Tunisiens ont été suspendus, quarante-huit heures durant, à une déclaration solennelle, à un engagement explicite du Chef du gouvernement provisoire à mettre à exécution l'initiative du Quartet. Une longue et éprouvante attente ponctuée de déceptions, d'une sorte de résignation et d'une grande stupeur. Les événements dramatiques survenus notamment à Sidi Ali Ben Aoun, le 23 octobre, ont marqué un virage grave, qui est venu accentuer les incertitudes et rendre inévitable une guerre totale contre l'hydre terroriste. Une menace qui a pu se nourrir des profondes divisions d'une classe politique qui s'est engagée, prématurément, dans une course aveugle au pouvoir et qui s'est trouvée, subitement, face à un vide abyssal qui menace, aujourd'hui, l'unité du pays, son modèle et sa sécurité. Le déblocage providentiel de la situation politique, vendredi dernier, au moment où l'on croyait que tout le processus avait tout simplement avorté, fut un soulagement... au goût amer. Le démarrage du Dialogue national sur la feuille de route du Quartet (Ugtt, Utica, Ltdh et l'Ordre des avocats tunisiens) est, certes, une victoire pour l'ensemble des Tunisiens et un motif à faire renaître l'espoir et la confiance, mais rien n'indique que tout soit gagné d'avance. En effet, la nouvelle donne suppose la satisfaction d'un certain nombre de préalables et de conditions. Il s'agit, au demeurant, d'engagements irréversibles pour sortir le pays du vide politique, de la menace terroriste, de la tourmente économique et sociale. Le dialogue responsable, franc qui sert les intérêts du pays, qui construit une perspective et une confiance réciproque, est la planche de salut qui se présente pour éviter que l'irréparable ne se produise. Le pays touche le fond, les Tunisiens sont à bout de souffle, leur moral est à zéro, mais ils ne perdent pas espoir, continuent obstinément à s'accrocher au fil d'Ariane. Ne dit-on pas qu'un « homme qui se noie cherche à s'agripper même à une paille de riz » ? Des engagements qui supposent la mobilisation de tous pour réaliser, vite et dans le consensus, ce qu'on n'a pas pu faire en plus de deux ans. Une mission difficile, mais pas impossible. Elle implique une haute conscience des défis qui nous guettent et une nécessité impérieuse d'enterrer la hache de guerre, de faire taire les divergences et les considérations partisanes qui ont conduit le pays à l'impasse et qui l'exposent, actuellement, à des risques majeurs. Le pays, au bord de la crise de nerfs, a plus que jamais besoin de signaux clairs, d'une action sérieuse et d'une volonté sans faille de toutes ses forces démocratiques, pour poursuivre une construction inachevée et apporter des assurances sérieuses pour renforcer les fondements sur lesquels s'articule l'édifice né le 14 janvier 2011. Achever l'élaboration d'une constitution, pour tous les Tunisiens, dans un esprit de consensus, mettre en place, rapidement, l'Isie (Instance supérieure indépendante des élections), adopter la loi électorale, arrêter définitivement la date des prochaines élections et se mettre d'accord sur une personnalité indépendante qui devrait diriger le futur gouvernement provisoire représentent, incontestablement, une tâche ardue et compliquée. Sa mise en œuvre est une nécessité, parce que dans ce contexte d'urgence, seule l'obligation de résultat compte. C'est par ce moyen qu'il sera possible de construire, sur des bases solides et consensuelles une véritable démocratie et, par ce moyen et ce moyen seul, qu'on pourra préserver l'ordre social et le modèle de société de la modernité et de la tolérance. Le soulagement né vendredi dernier, qu'on espère qu'il ne sera pas de courte durée, est un signal important, car le pays fait face à des défis d'une gravité sans précédent. Le premier et, certainement, le plus insistant provient de la nébuleuse terroriste qui a étalé ses tentacules dans notre pays et qui est en train de semer mort et désolation partout. Le terrorisme qu'on a tant redouté frappe aujourd'hui aux portes de toutes nos villes, parce qu'il n'est plus confiné dans les régions montagneuses seulement. Sa propagation est une résultante de la porosité de nos frontières, mais aussi du laxisme qui a longtemps entouré l'action qui aurait dû le contenir et l'étouffer. Le deuxième concerne la restauration des fondamentaux de l'économie tunisienne qui montre actuellement des signes de fatigue avancés. En raison d'une longue crise politique, de l'insécurité régnante et de l'émergence du terrorisme, l'image du pays a été fortement écornée et la confiance des opérateurs fortement ébranlée. Le dernier, et non le moindre, se réfère à l'exacerbation des problèmes sociaux, en raison d'une incapacité à répondre à des demandes insistantes, à promouvoir un développement régional inclusif et de la grave érosion du pouvoir d'achat du Tunisien, à la faveur d'une inflation galopante et d'un chômage rampant. Un espoir est né, il revient à tous de ne pas le décevoir. Dans l'état actuel des choses, le pays n'aura pas une nouvelle chance pour rebondir, car il a tout simplement épuisé toutes ses chances.