Par Khaled TEBOURBI Stupeur, d'abord, colère et défi, ensuite : on peut résumer ainsi la réaction des Tunisiens aux «attentats- suicide» (par bonheur avortés) de Sousse et de Monastir. La stupeur surprend. Visiblement, nos compatriotes en étaient encore à imaginer que le terrorisme islamiste se confinait juste dans des «zones frontières», occupé, seulement à fomenter des escarmouches aux «pourtours» du pays. Tout indiquait, pourtant, que le danger approchait de nos villes. Là, depuis des mois, des caches d'armes avaient été découvertes, et les enquêteurs du Chaâmbi, en particulier, avaient déjà pu conclure à «un soutien logistique» de la part d'un certain nombre d'habitants. Ajoutons-y les avertissements répétés des experts, des témoins, de l'opposition, l'activisme des «ansar» et la mobilisation de la majeure partie des mosquées. Ajoutons-y encore le voisinage trouble du Mali et de la Libye. La menace était évidente, imminente. Comment s'expliquer qu'elle ait pu nous prendre au dépourvu? Le laxisme et «la distraction» des autorités y étaient sûrement pour beaucoup, proprement dommageables, injustifiables. Mais l'optimisme «légendaire» des Tunisiens a dû aussi «peser». Sur cette «Terre bénie des Saints», on croit dur comme fer à sa bonne étoile. C'est de nature et de culture. Même dans les pires situations, on est enclin à voir les choses du bon côté. «Tout finira par s'arranger» : credo inébranlable de la Tunisie. Cela aide parfois, cela nuit pratiquement à tous les coups. Pour manqués, les attentats de Sousse et de Monastir laissent une peur panique parmi la population. Le terrorisme est présent dans nos murs. Bel et bien aiguisé, bel et bien «urbanisé». Il a frappé, il peut frapper encore, à tout moment, partout, n'importe où. La police, la Garde nationale et l'Armée sont sur sa trace. Hélas, un peu tardivement. Où se terre-t-il? Quels sont ses liens, ses «soutiens»? On le saura peut-être, espérons. Mais les regrets persistent : si les risques avaient été perçus d'emblée, si les autorités avaient été moins «distraites», moins laxistes, si nos forces de sécurité avaient eu «les mains libres» dès le début, si nous avions, tous, été plus prévoyants, plus vigilants, nous n'en serions pas arrivés là où nous sommes aujourd'hui. A compter nos pertes. A faire face à une psychose collective sans précédent. La colère qui monte dans le pays se comprend parfaitement, en revanche. Ici, on n'a pas l'habitude de côtoyer de pareilles violences, de craindre pour sa vie au quotidien. Alors, forcément, on perd patience, on récuse, on accuse. Le gouvernement de la Troïka et le mouvement d'Ennahdha sont les premiers ciblés. «Chronologiquement», au regard d'une majorité de citoyens, l'apparition du terrorisme islamiste correspond à leur arrivée au pouvoir. A l'heure où classe politique et société civile sont engagées dans un délicatissime «Dialogue national» cela «augure» de sérieuses complications. Mais c'est «l'attaque» au mausolée de Bourguiba, qui aura, le plus, excité le mécontentement des Tunisiens. Oser toucher au symbole de toute une nation était un acte impardonnable. Voire, la pire erreur que pouvaient commettre les émules du radicalisme religieux. Ceux qui étaient «derrière», ceux qui y ont «poussé» (exemple de l'actuel «mufti» de la République) n'auront pas tôt fini de s'en mordre les doigts. Reste le défi que la Tunisie entière lance désormais au terrorisme islamiste. Défi plein, et en toute apparence intraitable, irréversible. C'est bon signe, car l'unité se cimente et les consciences s'éveillent en commun. Comment , toutefois, pourra-t-il se réaliser au concret? En agissant, d'abord, sur les causes, proches ou lointaines. Et en toute priorité sur le «wahabisme» qui «inspire» encore notre ministère du Culte et qui «infeste» nos mosquées. En confiant, ensuite, l'initiative sécuritaire à une police et à une armée absolument républicaines, uniquement tenues de protéger leur peuple, et non pas de suivre les instructions d'un gouvernement, quel qu'il soit. Les Tunisiens, enfin, devraient apprendre, une fois pour toutes, que le terrorisme n'arrive pas qu'aux autres. Nous vivons une époque de violence, à une échelle planétaire. C'est pure déraison que de ne pas s'en sentir concerné.