Le projet de la nouvelle loi de finances 2014 prévoit des mesures qui risquent de peser lourd sur une frange très importante de l'économie nationale Le choix incontournable d'une politique d'austérité pour sortir de la crise dans les prochaines années risque de frapper de plein fouet une classe moyenne, déjà fragilisée par un coût de la vie de plus en plus difficile à supporter et par un pouvoir d'achat qui ne cesse de dégringoler. Alors que cette même classe moyenne a un impact direct sur la machine économique, par le biais de la consommation et qu'elle joue un rôle très important dans le circuit économique dont elle constitue un maillon essentiel, les économistes ne sont toujours pas arrivés à s'entendre sur une définition commune de cette frange de la population. Dans une interview accordée le mois dernier au journal La Presse (voir numéro du 29/10/2013), l'économiste tunisien Abderrahman Laeka avait souligné qu'il n'existait pas une seule mais plusieurs définitions de la classe moyenne, dont la notion diffère d'un pays à un autre. Pour la définir, certains économistes se sont référés au revenu, expliquant que la classe moyenne est composée d'individus percevant un revenu égal ou proche du revenu médian de l'ensemble de la population. D'autres économistes ont dressé une échelle de revenus, fixant des intervalles dans lesquelles se situe la classe moyenne composée d'individus dont les revenus sont compris dans la tranche définie par ces intervalles. La classe moyenne a émergé avec la révolution industrielle, note M. Mohamed Zarrouk, consultant international, enseignant universitaire et membre de l'Organisation de défense du consommateur (ODC). En fait, on n'a pas de définition commune de la classe moyenne. Il s'agit d'un produit du système capitaliste. Cette classe est composée des enseignants, des médecins, des fonctionnaires, des agriculteurs, des ingénieurs...La classe moyenne est le moteur de la croissance car elle crée des richesses. C'est elle qui consomme. C'est elle qui contribue au budget par l'intermédiaire du prélèvement de l'impôt sur le revenu des personnes physiques qui s'élève, chaque année, à 4 milliards de dinars alors que l'impôt prélevé sur les sociétés est inférieur et ne représente que 3 milliards de dinars. Cette classe moyenne qui représente une frange importante de la population joue un rôle social considérable. Elle a son mot à dire et elle est incontournable. L'équilibre de la société en dépend étroitement et elle est indissociable des politiques économique, sociale, culturelle qui sont élaborées par les gouvernants». Un pouvoir d'achat en régression Après la révolution, cette classe moyenne, qui représentait près de 70% de la population en 2010 selon les chiffres du dernier recensement de la population, a fortement régressé en s'appauvrissant. La hausse de l'indice des produits de base, la hausse du taux d'inflation (6,5% en 2013) ont eu raison d'un pouvoir d'achat rudement écorné et qui a subi, par un effet boomerang, les répercussions néfastes d'une économie de marché affaiblie et minée par la détérioration de la situation économique, l'instabilité sécuritaire et le fléau de la contrebande. «En trois ans, le consommateur moyen a perdu 20% de son pouvoir d'achat, explique le consultant international. Cela veut dire qu'il doit dépenser aujourd'hui plus d'argent pour acheter la même quantité de provisions qu'il y a trois ans et remplir son couffin. Prenons l'exemple de ce qu'on appelle la commission du mois. Beaucoup de consommateurs déboursaient en moyenne cents soixante dinars il y a quelques années pour s'approvisionner en grandes quantités de produits de base pour tout le mois. C'est ce qu'on appelle les courses du mois. Le consommateur moyen débourse aujourd'hui plus de deux cent dinars pour la même quantité de produits achetés il y a quelques années. Aujourd'hui, la classe moyenne est malade. Il y a bien eu une augmentation des salaires. Mais ils restent inférieurs à un coût de la vie qui est très élevé et qui est par conséquent de plus en plus difficile à supporter». Entraînés aujourd'hui dans une ronde infernale, n'arrivant plus à subvenir à leurs besoins, les individus appartenant à la classe moyenne et qui empruntent auprès des banques, s'endettent de plus en plus et consomment de moins en moins. «Cela va finir par enrayer la machine économique et la croissance risque d'en prendre un sérieux coup, note, à ce propos, le membre de l'ODC. Qui dit moins de consommation, dit moins de croissance et moins d'investissement. Dans la mesure où notre économie repose essentiellement sur une classe moyenne forte qui consomme, les gouvernants doivent absolument mettre en place des politiques destinées à la sauvegarder. Car, si cette classe moyenne n'arrive plus à subvenir à ses besoins vitaux, si sa propre survie est menacée, elle risque de devenir dangereuse. L'histoire nous l'a déjà montré». Développer les secteurs à forte valeur ajoutée Pour renflouer les caisses de l'Etat, consolider les ressources fiscales, le nouveau projet de la loi de finances 2014 prévoit des mesures qui risquent davantage de grever la classe moyenne, estime le consultant international qui reproche au gouvernement de ne pas avoir consulté l'Organisation de défense du consommateur lors de l'élaboration de ce projet. «Notre but est de protéger la classe moyenne, c'est pour cette raison que nous contestons ce projet. Ce dernier prévoit d'exonérer les personnes percevant un revenu inférieur ou égal à 400 dinars de l'impôt sur le revenu. Cette mesure doit concerner une frange plus large de la classe moyenne en exonérant les individus percevant un revenu mensuel inférieur ou égal à 700 dinars. Nous sommes, par ailleurs, opposés au prélèvement d'une taxe supplémentaire pour les voitures à partir de quatre chevaux. Nous estimons, par ailleurs, que l'augmentation du coût de l'hydrocarbure ne va pas résoudre le problème de la crise. Cela va avoir au contraire une répercussion sur la hausse de l'indice des prix et l'inflation. C'est la classe moyenne qui va en pâtir en premier. Son pouvoir d'achat ne va que s'affaiblir davantage», toujours selon le membre de l'ODC.Plutôt que d'alourdir les charges d'une classe endettée qui peine à joindre les deux bouts, le gouvernement doit réfléchir à une stratégie à moyen et à long terme basée sur une meilleure répartition des richesses en favorisant notamment les investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée. «Si nous développons les secteurs à forte valeur ajoutée, nous allons produire des richesses et booster l'exportation de ces produits. L'apport de devises va alors permettre de maîtriser l'inflation et de rééquilibrer la balance commerciale. Ce qui se traduira par un coût de la vie plus supportable pour une classe moyenne qui respire enfin. Propositions de l'ODC Selon Mohamed Marzouk, le projet de la nouvelle loi de finances qui prévoit de taxer de 10% les dividendes de la Bourse distribués aux entreprises devrait exclure les petits porteurs qui font partie de la classe moyenne. Par ailleurs, le gouvernement devrait mettre en place un plan d'action afin de maîtriser le taux d'inflation et de le ramener à 3% , recouvrir les créances fiscales antérieures et réviser le régime fiscale forfaitaire. I.H.