«On est allé trop loin dans la décomposition de l'image du pouvoir», s'inquiète un sociologue PARIS (Reuters) — La fièvre contestatrice tous azimuts qui s'est emparée de la France, du ras-le-bol fiscal aux rythmes scolaires en passant par les plans sociaux à répétition, menace François Hollande et son gouvernement de paralysie et de perte de légitimité. Le mouvement est encore trop morcelé pour constituer une vague de fond mais il est assez préoccupant pour avoir occupé hier la réunion du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. «Le Premier ministre n'a pas caché la gravité de la situation, liée à une radicalisation assez forte d'une partie de la société, avec une volonté d'en découdre et une espèce de haine», a dit à Reuters le député PS Christophe Caresche. Selon cet élu, Jean-Marc Ayrault a notamment mis en cause le procès en légitimité politique fait au Parti socialiste par la droite et l'extrême droite. «Il y a là un cocktail explosif qui est en train de se mettre en place et qu'il faut combattre», a ajouté Christophe Caresche, qui reconnaît cependant l'existence, au gouvernement et dans la majorité, d'«un problème de projet collectif». La protestation des «bonnets rouges» bretons contre l'écotaxe, greffée sur un contexte social spécifique à la Bretagne, fait tache d'huile dans d'autres régions. Artisans, commerçants et travailleurs indépendants «sacrifiés mais pas résignés» ont annoncé des manifestations à partir de aujourd'hui contre la hausse de la TVA intermédiaire. Des usagers des transports en commun ont pour leur part choisi le bonnet vert pour emblème, afin de protester contre la hausse de la TVA dans ce secteur et une marche anti-TVA, soutenue par le Front de gauche, est prévue le 1er décembre. Salariés et employeurs des mutuelles ont adopté le bonnet jaune contre une disposition du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui menace selon eux leur secteur. Explosion ou paralysie ? Les «Tondus», association revendiquant le soutien de plus de 400.000 entreprises, militent pour la suspension du paiement de la part patronale des charges sociales. Ils rejoignent les «pigeons», «poussins» et autres volatiles, les vétérinaires, sages-femmes, centres équestres et routiers, ou l'Association française d'épargne et de retraite (AFER) qui lance une pétition nationale contre «l'insécurité fiscale». A quoi s'ajoutent les appels à la grève d'animateurs, d'enseignants et de parents d'élèves contre la réforme des rythmes scolaires. Selon un sondage CSA pour BFM TV, deux Français sur trois se disent prêts à descendre dans la rue contre de nouvelles hausses d'impôts, tandis qu'une enquête Tilder-LCI-Opinionway montre que 72% d'entre eux croient à un mouvement social de grande ampleur. Pour l'analyste de Tilder Frédéric Latrobe, «le sentiment de fronde populaire et sociale est (...) plus que majoritaire.» Les syndicats, dépassés par une grogne qui sort du cadre traditionnel des mouvements sociaux, s'efforcent de prendre en marche le train de ces mécontentements très divers. Dans une interview publiée hier par Le Figaro, le secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, met en garde le gouvernement contre un «climat social explosif». Mais pour Guy Groux, spécialiste des mouvements sociaux au centre de recherche de l'Institut de sciences politiques de Paris, le gouvernement a plus à craindre de sa propre paralysie que d'une hypothétique et imprévisible explosion sociale. Il en veut notamment pour preuve les multiples «allers-retours» du gouvernement, notamment sur les mesures fiscales. «Si on n'est pas encore dans la paralysie du pouvoir, on n'en est pas loin», explique ce chercheur à Reuters. «La moindre mesure proposée se heurte à une telle opposition que le gouvernement louvoie et donne l'impression de perdre son cap», souligne-t-il. «C'est une situation qui peut présager un développement plus aigu encore des conflits sociaux.» Perte de légitimité Le sociologue Michel Wieviorka ne croit pas non plus à une explosion sociale mais plutôt à un processus de «délégitimation» du chef de l'Etat et de son gouvernement, en perdition dans les sondages d'opinion. L'unité des multiples foyers actuels de mécontentement et de protestation se fait autour de l'idée que «le chef de l'Etat ne fait pas son boulot, qu'il n'est pas à la hauteur, qu'il n'a pas l'autorité, la vision, la fermeté, la colonne vertébrale pour diriger un Etat comme le nôtre», estime-t-il. «L'inquiétude n'est pas tant la paralysie que la délégitimation de plus en plus grande de l'Etat», ajoute-t-il. «Même une reprise économique éventuelle et un arrêt du chômage ne changeraient rien. On est allé trop loin dans la décomposition de l'image du pouvoir.» François Hollande se fait désormais siffler et huer à chaque déplacement, y compris, fait exceptionnel, le 11-Novembre, jour où l'ensemble de la Nation est censée communier dans l'hommage à ses morts de 1914-18 et des autres guerres. Des élus socialistes n'hésitent plus à demander un changement de Premier ministre, comme le député Malek Boutih et la candidate à la mairie de Paris, Anne Hidalgo, qui se sont fait rappeler à l'ordre lors de la réunion de groupe d'hier. Christophe Caresche en est pour sa part à miser sur le besoin d'ordre d'une société française qui plébiscite le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. «Il y a aussi une exaspération dans la société française de gens qui ne veulent pas le désordre et que ça parte dans l'aventure», souligne le député socialiste, qui voit dans cette demande d'ordre «un point d'appui pour le gouvernement».