Par Amin MAHFOUDH Nous avons publié, hier, le premier volet de cette contribution. Nous vous proposons, aujourd'hui, la deuxième et dernière partie La norme européenne a souvent attribué le contentieux de l'accès aux pouvoirs publics (pouvoir exécutif et pouvoir législatif) ainsi que le règlement des conflits de compétences entre lesdits pouvoirs au juge constitutionnel. Le TA a eu cet honneur. En effet, il contrôle l'accès aux institutions comme il participe à la répartition des compétences. 1- Le Tribunal administratif juge des élections de l'ANC Le peuple peut s'exprimer en désignant des représentants. Il est essentiel en démocratie de pouvoir faire vérifier éventuellement que la volonté ainsi exprimée l'a été de manière authentique. En l'absence d'une constitution, le décret-loi n° 35 du 11 avril 2011 a attribué le contentieux électoral quant à l'accès à l'Assemblée nationale constituante au TA. Ce contentieux concerne aussi bien les litiges en rapport avec l'inscription des candidats sur les listes électorales que celui des résultats du suffrage. L'œuvre du TA en la matière est intéressante à plus d'un titre. Par ailleurs, l'attribution du contentieux de l'inscription des candidats à plusieurs chambres a porté atteinte au principe d'égalité. La contrariété de certains jugements est loin d'assurer une sécurité juridique 1, alors que l'attribution du contentieux des résultats électoraux à l'assemblée plénière du TA a permis de produire une jurisprudence harmonieuse permettant ainsi d'assurer une sécurité juridique.2 Une lecture avertie de la jurisprudence du TA permettra en principe de produire un bon futur code pour le règlement du contentieux électoral. Hélas, messieurs les magistrats sont écartés de l'expertise souvent sollicitée par la Constituante ; alors que le TA est souvent appelé pour être un régulateur de compétences entre les pouvoirs publics. 2- Le Tribunal administratif régulateur de compétences La plupart des constitutions modernes instituant une procédure de règlement des « conflits d'attributions entre organes », qui permet de faire trancher par la cour constitutionnelle les divergences d'interprétation de la constitution quant aux compétences respectives des organes de l'Etat. Ce rôle a été pleinement joué par le TA que ce soit en présence d'une constitution ou en son absence. A- Le TA régulateur de compétences en présence d'une constitution La révision de la Constitution de 1959 en 1997 a abouti à limiter le domaine de la loi et à créer un pouvoir règlementaire au profit du chef de l'Etat. L'article 53 de la même constitution permet au président de la République de déléguer son pouvoir règlementaire général au Premier ministre. Il revient dans ces deux hypothèses au Tribunal administratif de contrôler la distribution des compétences opérée par la Constitution. Le Tribunal administratif s'est basé sur l'article 53 de la Constitution, pour annuler un décret d'expropriation signé par le Premier ministre. Pour le Tribunal, si l'article 53 de la Constitution permet la délégation du pouvoir règlementaire général, il ne permet pas la délégation des décrets à caractère individuel.3 Après l'adoption de la loi constituante du 6 décembre 2011, le TA s'est vu attribuer une importante nouvelle compétence. B- Le TA régulateur de compétences en l'absence d'une constitution L'article 20 de la loi constituante du 6 décembre 2011 relative à l'organisation provisoire des pouvoirs publics a attribué au TA un rôle consultatif qui s'ajoute à son rôle consultatif classique tel que défini par la loi de 1972. En effet, « les conflits de compétence entre le président de la République et le Premier ministre sont soumis, par la partie la plus diligente, à l'ANC qui statue à la majorité de ses membres, après avis rendu par l'assemblée plénière du Tribunal administratif». Aussi, les membres de la Constituante ont magistralement hissé le TA en un juge constitutionnel. Ce même rôle a été attribué, dans le projet de la Constitution du 1er juin 2013, à la cour constitutionnelle.4 Saisie au mois de juin 2012, l'assemblée plénière du TA a apparemment rendu au mois d'octobre 2012 son avis concernant le conflit de compétence entre le président de la République et le chef du gouvernement en rapport avec l'extradition des étrangers. Le TA a, semble-t-il, désavoué le gouvernement. Hélas pour les chercheurs, l'avis n'a pas été rendu public. La confidentialité n'est pourtant pas exigée par la loi constituante. Aussi, la transparence, une des conditions de la bonne gouvernance est complètement écartée.5 En tout cas, le parti qui domine la composition gouvernementale en a tiré des leçons. Mais ce qui est certain, c'est que les considérants de cet avis se sont totalement fondés sur une lecture de cette norme provisoire appelée à tort ou à raison petite constitution mais qui n'est guère une constitution. Dernièrement, la commission de coordination et de rédaction de la Constituante a arrêté la liste des experts qui vont réviser, embellir ou cautionner le projet de Constitution considérée récemment par le président de l'Assemblée Constituante comme l'une des meilleurs constitutions au monde; les juges du TA ont été clairement écartés. Le TA a probablement payé le prix de l'avis concernant l'affaire Baghdadi Mahmoudi ; comme d'ailleurs l'on payé les universitaires qui ont été qualifiés à tort d'experts anti-légitimité ; mais le plus important aussi bien pour ces juges que pour ces universitaires est de refuser le jeu du clientélisme. En France, faudrait-il le rappeler, le Conseil d'Etat a été l'un des auteurs de la Constitution de 1958. Alors messieurs les juges, continuez votre œuvre magnifique ; au temps des Lumières, l'histoire vous rendra hommage. ————————— 1. la jurisprudence du TA in Amin Mahfoudh, Tribune de l'Avocat, op.cit, pp17-45. 2. Idem, pp.47-64. 3. TA, Aff. n° 1051 du 11/12/1190, Fatma Ben Bechr c/ Premier ministre, R. 1990, p.422. 4. l'article 99. 5.Pourtant le projet de la constitution du 1er juin 2013 a consacré dans son préambule le principe de bonne gouvernance et dans son article 14 le principe de transparence.