Par Abdelhamid Gmati Effet de la liberté d'expression retrouvée, une sorte de virus des démissions a gagné la société tunisienne depuis plus de deux ans. On l'a vu à l'ANC où des députés élus sur une liste d'un parti le quittent pour rejoindre un autre. Cela a engendré une situation unique : des partis, comme Nida Tounès ou Wafa, qui n'existaient pas encore lors des élections d'octobre 2011 et n'y ont donc pas participé, se trouvent représentés à l'Assemblée par le jeu de ce « mercato ». Des journalistes, en nombre, démissionnent régulièrement de leurs médias pour se mettre au service d'autres. Derniers mouvements en date : des démissions au sein de deux partis d'opposition, Nida Tounès et Al Jomhouri. Les raisons invoquées font généralement allusion au manque de démocratie au sein de ces formations. Il y a eu aussi des démissions dans les partis formant la Troïka au pouvoir. Le CPR et Ettakatol ont eu leur lot de défections. Même le mouvement Ennahdha, que l'on avait cru solidaire et discipliné, a eu des démissionnaires mais pour d'autres raisons. L'an dernier, ce fut le cas de l'universitaire Abou Yaâreb Marzouki qui s'expliqua ainsi : « Ennahdha a un projet islamiste et il ne fait que multiplier les discours religieux, croyant que le pouvoir est un butin de guerre, en distribuant les responsabilités aux amis, aux alliés et aux proches, sans compétence aucune et ne pensant jamais à placer l'homme qu'il faut là où il faut ». Puis il y eut la députée Fattoum Attia qui annonça sa démission du mouvement mais y renonça. Cette semaine, un autre universitaire, Riadh Chaïbi, a rendu le tablier. Le mois dernier, le porte-parole nahdhaoui indiqua que quelques membres du parti islamiste avaient présenté leur démission, mais que le problème a été surmonté. Les observateurs avertis estiment que, dans les partis islamistes à travers le monde, on ne démissionne pas : « Les partis des Frères musulmans, en général, fonctionnent au mode d'une secte. Une fois dedans, il est difficile, voire impossible, d'en sortir ». Certes, il y a eu des déclarations de certains dirigeants et députés qui sonnaient comme une dissidence par rapport aux positions exprimées par le mouvement. A propos de l'annulation des amendements adoptés au règlement intérieur, par exemple. Mais tout est rentré dans l'ordre rapidement. Ce qui fait dire que tout cela fait partie d'une stratégie, voulant donner à penser que les islamistes pratiquent la démocratie dans leur mouvement, alors qu'en réalité, ils ne font que gagner du temps. La meilleure illustration est donnée par le vice-président du mouvement, Abdelfattah Mourou, qui fait parfois des déclarations un peu différentes de celles du Cheikh Rached Ghannouchi mais qui, en définitive, se rallie à l'idéologie commune. Illustration : alors que le président du mouvement avait déclaré abandonner le principe de la charia, Mourou a parlé récemment en ces termes : « Le pouvoir en Islam est basé sur la choura et le respect de la loi qui était, à ce moment là, la charia...qui était la suprématie de la loi... La charia c'est le civisme ». En fait, il n'y a que partage des tâches, chacun jouant une partition, qui pour rendre le projet nahdhaoui plus attrayant, qui pour paraître plus intransigeant, laissant croire que le mouvement est modéré. Il n'y a pas de pluralisme, il n'existe qu'une seule ligne, une seule position dictées par le président. On ne prête pas serment, mais on fait acte d'allégeance au Cheikh. Le baiser sur sa tête en est une indication non équivoque. Le « gourou » reste la référence suprême. D'où la question que d'aucuns se posent : le mouvement Ennahdha est-il une secte ? On nous apprend qu'une « secte désigne soit un ensemble d'individus partageant une même doctrine religieuse ou philosophique... soit un groupe plus ou moins important de fidèles qui se sont détachés de l'enseignement officiel et qui ont créé leur propre doctrine. Une secte peut aussi désigner une branche d'une religion, une école particulière. Elle désigne de nos jours un groupe ou une organisation, le plus souvent à connotation religieuse dont les croyances ou le comportement sont jugés obscurs. Généralement, les responsables de ces groupes sont accusés de brimer les libertés individuelles au sein du groupe et de manipuler mentalement leurs disciples, afin de s'approprier leurs biens et de les maintenir sous contrôle ». Cela s'apparente à ce que font les islamistes. On pourrait y ajouter l'embrigadement des enfants et des jeunes adultes, la dissimulation et le double langage, la rupture avec l'environnement d'origine, la négation de la personnalité de la société, la référence aux pratiques ancestrales, le recours à une morale rigide, la manipulation mentale, la négation de la vie et les promesses du paradis, la généralisation du port de la barbe pour les hommes et du voile, voire du niqab, pour les femmes, la tentative d'infiltration des pouvoirs publics, etc. Le tout débouchant sur une société de zombies et une dictature au nom de la religion. Troublant, mais...réel.