Un projet de 163 millions d'euros, appelé «Tabarka Millenium», transformera un site naturel emblématique en un site industriel, s'il reçoit l'accord définitif En 1991, la région de Tabarka a été décrétée zone prioritaire pour devenir un pôle de développement économique au Nord-Ouest de la Tunisie. A cet effet, une zone touristique a été développée sur une superficie de 320 ha. Elle comprend une chaîne hôtelière de différentes catégories, d'une capacité de 5.272 lits, 5 centres de plongée sous-marine, un terrain de golf de 18 trous extensible à 27 trous et 3 centres de thalassothérapie. Un théâtre en plein air est en cours de construction, son ouverture est prévue pour le mois de juin 2014. A Tabarka, 674 personnes tiennent actuellement un poste permanent dans le secteur du tourisme. 1.200 autres ont des emplois saisonniers. Néanmoins, ces dernières années, le tourisme a connu un tel ralentissement que des emplois risquent d'être perdus. En 2013, 83.513 touristes ont séjourné à Tabarka. Le taux d'occupation, entre les mois de janvier et de novembre 2013, était de 29,3%, contre 24,1% en 2012 à la même période. Selon Aïssa Marouani, responsable au commissariat régional au tourisme à Tabarka/Aïn Draham, plusieurs «faiblesses» liées notamment au marketing sont à l'origine de cette situation : «On a beaucoup axé sur le tourisme balnéaire et on a fourni peu d'efforts pour vendre l'histoire, la culture, les activités sportives et cynégétiques. De plus, en comparaison avec Hammamet, Nabeul, Sousse et Djerba, la publicité sur la région de Tabarka est très modeste. D'une façon générale, on peut dire que la Tunisie n'est pas assez présente dans les salons étrangers et quand elle l'est, la présentation est souvent médiocre». Par ailleurs, «plusieurs hôtels sont mal entretenus et il y a un laisser-aller dans la prestation de services», note-t-il. Pour redynamiser le tourisme, il faudrait, selon Marouani, construire plus d'hôtels pour avoir 5.000 lits de plus. «De cette manière, la commercialisation serait plus facile auprès des tour-opérateurs (TO) qui demandent une grande capacité d'accueil». En ce qui concerne les projets concrets pour la région, Marouani évoque la construction d'un hôtel 3 étoiles et le démarrage des travaux de réalisation du projet «Millenium Tabarka» en 2014. Millenium Tabarka Il s'agit de construire un port de «Grande plaisance» de 53ha au niveau de la baie comprise entre les deux aiguilles de Tabarka, et d'une zone de «Refit» de 8ha. Un des objectifs du projet est de faire de la Tunisie le «pôle industriel nautique de grande plaisance en Mer Méditerranée». Dans une première phase, le port de plaisance pourrait accueillir 200 embarcations allant de 30 à 200 mètres LHT (longueur hors-tout). Dans un second temps, l'aménagement de zones portuaires le long du littoral portera cette capacité à 500 emplacements. En marge de l'aménagement du complexe maritime, on prévoit de créer une zone d'hébergement à l'est de la ville. Un troisième site, comprenant des zones industrielle et commerciale, est envisagé en périphérie de l'aéroport. Le coût d'investissement initial est évalué à 163.000.000 euros. On estime que le projet créera 4.550 emplois directs. Si pour certains, ce projet permettra de dynamiser l'économie et de développer le tourisme, l'avis de Mohamed Nabil Ben Abdallah, président de la Fédération régionale de l'hôtellerie du Nord-Ouest, est tout autre. Pour lui, ce projet présente certaines ambiguïtés, d'autant plus que celui qui l'a présenté, l'homme d'affaires français Jean-Pierre Mangiapan, est mêlé à des affaires de justice. «J'ai demandé s'ils allaient investir dans les lotissements destinés à l'hébergement. On m'a répondu par la négative. C'est l'Etat qui devra préparer l'infrastructure (routes, eau, etc.), et eux ne s'occuperaient que de la vente. Or, même pour la vente, on n'a pas besoin d'eux!», estime Ben Abdallah. La Fédération s'est donc opposée au projet. L'Agence de protection et d'aménagement du littoral l'est également, pour des considérations écologiques. Selon Anis Zarrouk, ingénieur principal à l'Apal, le projet a eu l'accord de principe de la commission interministérielle. L'Etat tunisien a demandé aux investisseurs de présenter un plan financier détaillé. L'Apal, elle, a soumis de nombreuses conditions, notamment la réalisation d'études d'impact sur l'environnement. «Il n'est pas question pour nous d'accepter que des sites du patrimoine naturel soient endommagés. On va batailler pour que ce ne soit pas le cas», indique le responsable. L'Apal envisage de créer une aire marine protégée de 330ha entre Cap Tabarka, le rocher au mérou et le site des tunnels, grâce à un financement de la Principauté de Monaco. Le site protégé devra être inscrit au Jort d'ici juin 2014. «Ces sites sont prisés par les plongeurs, c'est eux, avec la société civile, qui ont tenu à protéger leur environnement», indique Anis. Le 22 mai 2013, Oxygène-Tabarka, une association pour la recherche scientifique sur l'environnement et le développement, publiait une tribune dans un quotidien tunisien. «Tabarka n'est pas à vendre», écrivait-elle. «Via Tabarka Millenium, M. Jean-Pierre Mangipan voudra bouffer d'un seul trait 20 kilomètres de la façade maritime de la capitale du corail et du Jazz, y compris les sculptures naturelles des roches célèbres dans le monde entier et connues sous le nom d'Aiguilles pour les uns, et Lion jaune pour les autres», dénonce l'association.