Par Abdelhamid GMATI Le choix, même sans consensus, du futur chef du gouvernement, la reprise du Dialogue national et l'annonce du 14 janvier prochain comme date de l'achèvement des trois processus inscrits sur la feuille de route, ont suscité bien des espoirs auprès d'une opinion lassée par une crise multidimensionnelle qui n'a que trop duré. Un instant, on a cru à un père Noël qui, n'oubliant pas la Tunisie, viendrait distribuer quelques friandises, même avec un peu de retard. Les sceptiques ont été un moment confondus par quelques engagements et déclarations des partis au pouvoir. Comme celle du porte-parole d'Ennahdha, Zied Laâdhari, qui a affirmé que son «mouvement s'engage à respecter la feuille de route et tous les compromis arrêtés dans le cadre du dialogue national». Hélas, l'espoir n'a été que de courte durée. Le lendemain, Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif du mouvement Ennahdha, a déclaré que «le mouvement Ennahdha opte pour que certains ministres indépendants du gouvernement de Laârayedh fassent partie du gouvernement Mehdi Jomâa». On aurait pu penser que l'ANC est également concernée par la feuille de route du moment que les partis majoritaires la composant participent au Dialogue national et respectent les accords conclus. Il semble que non, les partis changent de discours. Ainsi le dirigeant au mouvement Ennahdha, Abdelhamid Jelassi, a affirmé que «l'Assemblée nationale constituante, en tant qu'institution légitime et élue, exercera son contrôle sur le gouvernement Mehdi Jomâa». Sur ce point, il est relayé par plusieurs autres dirigeants et les députés ignorent superbement ce qui a été convenu. Le Quartet, parrain du Dialogue, avait proposé de surseoir à l'examen du budget de l'Etat 2014 pour se concentrer sur la Constitution, l'Isie, et la loi électorale. L'un des partis participants a précisé: «Si nous voulons respecter les échéances de la feuille de route, voter la loi sur l'Isie, adopter la Constitution, fixer la date des prochaines élections et voter pour un nouveau gouvernement avant le 14 janvier 2014, nous n'avons pas le temps de discuter la loi de finances 2014». En réponse, le bureau de l'ANC a décidé, mardi, de rejeter la demande et de tenir une séance plénière mercredi pour discuter le budget de l'année 2014 en présence notamment de l'actuel chef du gouvernement, Ali Laârayedh. Le mouvement Ennahdha a, pour sa part, refusé de voter sur le report de l'examen de la loi de finances 2014. C'est probablement ce qui a fait dire à l'instance politique du Front du salut que «les partis de la Troïka s'emploient à abjurer le processus du Dialogue pour le détourner de ses objectifs fixés par la feuille de route, et ce, en portant atteinte au principe du consensus». On est en droit de s'interroger sur les raisons de tout ce processus de perturbation, de tergiversations, de manœuvres. Perdurer au pouvoir, bien sûr ; mais il y a d'autres données, certaines triviales, d'autres plus graves. Ainsi, on apprend que le bureau de l'ANC a décidé, mardi, de mettre à la disposition des députés résidant hors Grand Tunis des logements. Rappelons qu'un appel d'offres a été lancé pour assurer l'hébergement des députés dans des hôtels situés à proximité de l'Assemblée. Soulignons aussi que le Premier ministre sortant souhaite, même démissionnaire, apposer sa signature sur le projet de Constitution. Il y a aussi la loi gérant la retraite des ministres qui stipule que les ministres qui achèvent leurs deux années d'exercice, jouissent d'une retraite de ministre à plein taux de 100%. Idem pour les députés. Le plus grave se trouve ailleurs et concerne toutes les actions plus ou moins déclarées, plus ou moins pernicieuses, visant à «islamiser» la société tunisienne. On l'a constaté avec les lois sur les habous, les mosquées, les actions «humanitaires» dans les quartiers populaires, le «formatage» des cerveaux des enfants et des jeunes, les appels au jihad dans les mosquées, la généralisation du hijab, du nikab, de la barbe...Cela se généralise et touche les cerveaux mêmes des adultes, qu'ils soient opportunistes ou convaincus. Un supposé humoriste, probablement en quête de notoriété et d'approbation, déclarait récemment : «Je fais régulièrement mes prières, je ne bois pas et je ne fume pas». Faudra-t-il, prochainement, avoir une attestation de «prière» pour prétendre à une carte d'identité ? La violence est toujours présente. Lundi, les portraits de Bourguiba accrochés aux murs du marché municipal de Monastir ont été «balafrés». Commerçants et citoyens ont exprimé leur colère, estimant que «les auteurs de cet acte cherchent à écorner la postérité de Bourguiba et à offenser tous ceux qui se réclament de l'esprit bourguibien et qui croient en la modernité sociale et l'Etat civil». D'autres faits tout récents. Des religieux ont pris possession de la Bibliothèque Nationale. Des extrémistes religieux ont interdit à un certain nombre de pâtissiers à Tunis et ailleurs de vendre des gâteaux pour le nouvel an. Et le ministère de l'Intérieur a fait part récemment de «menaces d'attentats terroristes en Tunisie à l'occasion du jour de l'an et affirmé avoir pris les dispositions nécessaires pour assurer la protection des hôtels, restaurants et autres lieux de fête lors de la célébration des festivités de Noël et du jour de l'an». Le vrai problème ne réside pas dans le succès ou l'échec du Dialogue mais dans ces pratiques venues d'ailleurs qui menacent notre société. Faut-il encore croire au père Noël ? Et pour quels cadeaux ?