Les dernières images de l'année 2013 à l'Assemblée constituante choquent. Empoignades, prises de bec, insultes, pactole et rentes viagères votées à la dérobade, tard, très tard dans la nuit, par une majorité soucieuse de privilèges. On escomptait la dernière mouture de la nouvelle Constitution. Il n'en fut rien. On s'attendait à des correctifs de la loi de finances désastreuse. Encore niet. Le ministre des Finances lui-même est estomaqué par le tour de passe-passe des élus de la majorité. Ils ont réussi à glisser, à son insu, tard dans la nuit, dans le projet de loi de finances, la création d'un fonds soi-disant d'indemnisation des victimes de l'ancien régime. Il s'en est offusqué publiquement avant de lancer carrément à l'intention des élus de la majorité : «Vous avez clochardisé le budget» ! L'image est poignante. Cela entache les rêves de générations de Tunisiens soudés par l'irrépressible élan d'une révolution fondée sur les valeurs de liberté, de démocratie et de dignité. Les principes semblent avoir tourné casaque au profit des coteries mues par les seuls calculs de boutiquiers. En somme, plus d'un désespèrent de cette classe politique dominante. Ses soucis pécuniaires l'emportent sur toute autre considération, politique, constitutionnelle ou autre. L'échelle des valeurs est inversée. Celle des priorités et des urgences aussi. Résumons. Le Dialogue national laborieux s'est soldé, depuis plus de deux semaines, par la désignation de M. Mehdi Jomâa en qualité de nouveau chef du gouvernement. Il n'en est toujours rien. Le gouvernement sortant, ou supposé l'être, est toujours aux commandes. Mehdi Jomâa n'a pas encore été officiellement chargé par le président de la République de former son gouvernement. Pis, le gouvernement sortant s'octroie le luxe d'une loi de finances scélérate. Gorgée de taxes, de charges et de surtaxes nouvelles. La classe moyenne, ou ce qu'il en reste, en bave. Les classes populaires trinquent. Le mot d'ordre ambiant se résume dans l'austérité. Austérité tous azimuts. Au point de revoir à la baisse la politique de subvention de certains produits de base. Tout en prévoyant des sommes d'argent à allouer aux partisans de la majorité gouvernementale, sans que les ressources adéquates ne soient attribuées. Pour certains, ce sont les rentrées des nouvelles taxes et surtaxes qui devront y pallier. Et cela fait grincer les dents. Le courroux populaire est manifeste. Les responsables feignent d'ignorer les raisons légitimes du mécontentement ambiant. Cela en dit long sur les motivations réelles de l'establishment. Mehdi Jomâa hérite d'un legs en guise de loi de finances comme autant d'une bombe à retardement. Le social sera aux avant-postes des priorités sous peu. En même temps, le processus de parachèvement des échéances constitutionnelles et électorales en pâtit. Et cela fait peser de sérieuses réserves sur la praticabilité de ce processus. Une chose est sûre : la classe politique, du moins celle aux commandes du gouvernement, est frappée de discrédit. Son image dans l'opinion est profondément entamée. Il faut dire qu'elle fait tout pour mériter cette déconvenue à l'échelle de la représentation. Les conditions économiques et sociales qui empirent ne favorisent guère le changement de la donne à brève échéance. La surdité des gouvernants aux pulsions de la rue et du citoyen évoluant au ras du sol les frappe de cécité. Ce qui pourra leur en coûter beaucoup lors des échéances électorales prévues cette année. Encore faut-il qu'elles aient lieu. Parce qu'à cette échelle aussi, les doutes planent.