Moncef Marzouki profite de son statut de dernier politique rescapé, dans une situation où les autres compétiteurs ne peuvent trop agir Le président Marzouki a opéré une sortie médiatique télévisée et en différé à 19h00 dimanche, sur la chaîne nationale. Manifestement, ce rendez-vous avec la nation, qui intervient après un long silence, n'a pas été annoncé quelques jours avant, comme de coutume. Le même jour et à une heure de décalage, son porte-parole passait sur une chaîne privée, dans une émission enregistrée et hebdomadaire et donc programmée à l'avance. La concomitance de ces deux communications dominicales est des plus curieuses. D'autant que la posture n'est pas la même d'une intervention à l'autre. Pendant que Marzouki, se voulant fédérateur, optait pour le sens de la mesure et répétait les appels à la raison, son chef de cabinet a été fidèle, lui, à la logique du Cpr. Dans le cadre de sa prestation télévisuelle, Adnène Mansar a pris soin d'égrener toutes les métaphores obsédantes qui font la marque de fabrique du parti du président. De la théorie du complot à la posture justificative, en passant par la publicité négative. Rien n'a manqué au tableau. Communication soignée Une fois n'est pas coutume, la mise en scène de la communication présidentielle était bien soignée. Dans une salle du Palais de Carthage, Moncef Marzouki a reçu la chaîne nationale en exclusivité. La pièce était meublée, sans être encombrée, de meubles élégants en bois massif. Un grand portrait du président Bourguiba trônait sur un mur. Deux bouquets de roses blanches parsemées de roses rouges étaient placés de part et d'autre. La table ronde, centre de la rencontre, était nette avec rien dessus. L'atmosphère se prêtait à une sobriété élégante, n'eût été la lumière. Du fond jaillissait de deux accès arc-boutés une lumière d'un bleu profond qui se fixait sur des rideaux marrons, se projetait depuis le plafond sur deux plantes un éclairage vert anis. Dans la pièce se diffusait une dominante de lumière jaune et pour compléter la palette, un faisceau rouge apparaissait parfois. Il ne manquait que la sono pour planter le décor de la discothèque. Le président Marzouki est apparu à l'écran, costume sombre, l'air grave sans être sévère. Sans notes pour le guider, il savait ce qu'il avait à dire. Il s'est présenté sous le jour du président de tous les Tunisiens. Rassurant, il donnait aux nationaux des raisons d'être fiers. Parlant davantage en dialecte, plutôt que cet arabe oriental qu'il affectionnait habituellement. Il est revenu sur les questions qui font polémique : la Syrie, le terrorisme, le port du niqab. Il a rappelé qu'il est le chef d'état-major, le leader militaire. Le président qui prend les initiatives, qui reçoit le chef du gouvernement tous les mercredis. Père de la nation qui veille de près sur ses intérêts, il est celui qu'on réveille à toutes les heures de la nuit. Il a indiqué la direction, il faut que les élections aient lieu le plus vite possible, a-t-il ordonné. En posture d'unificateur des Tunisiens et Tunisiennes dans leurs différences, il protège celle qui porte le niqab et celle qui porte le short. Nous sommes, contrairement aux autres, sur la bonne voie, a-t-il rassuré. Il a rappelé à plusieurs reprises son passé de militant, et le poste de président de la Ligue des droits de l'homme qu'il a occupé. Il a remercié Ennahdha, la société civile, la classe politique. Bref, tout le monde, et s'est placé dans le rang des démocrates modérés. Passant un trait sur les trois ans de la Troïka, il a rappelé plusieurs fois son parcours de droit de l'hommiste et ses valeurs qu'il ne reniera jamais. Le journaliste de la chaîne nationale, costume bien coupé, chemise impeccable, se tenant bien droit, contrairement à Moncef Marzouki, avec tout de même un stylo vert entre les doigts, manie maladroite d'un bon nombre de présentateurs télé. Il a posé ses questions et a rebondi à chaque fois, en interpellant le président poliment mais de manière insistante. Un entretien presque sans faute. A la recherche d'une identité perdue Marzouki profite de son statut de dernier politique rescapé, dans une situation où les autres compétiteurs, ex-Troïka, ne peuvent trop agir. Le président de la République est le dernier dépositaire de la légitimité jusqu'aux prochaines élections. Il a tenu à le rappeler en usant du verbe et des postures pour renouveler cette légitimité. L'annihilation de ce beau travail est venue cependant de chez lui, du sérail. Deux sorties médiatiques programmées le même jour est une erreur primaire, rien que sur le plan protocolaire. Une seule communication a un effet de traîne, mais deux au même moment s'annulent, si elles sont différentes et contradictoires, et se cannibalisent si elles sont semblables. C'est ce qui est arrivé ! Le lendemain, lundi, pas grand-chose n'a été retenu, sinon des bribes des deux interventions. Le chef de cabinet, sans hauteur ni originalité en adoptant ce ton habituellement hargneux, a parlé de cadeaux et autres privilèges qui ne seront plus obtenus par certains, des journalistes délateurs, d'un coup d'Etat militaire et politique, du salaire du président, dont il ne percevrait qu'une part infime, et de quelques détails relevant de la vie privée du président, aussitôt démentis le lendemain sur le Net. Décidément le Cpr et ses responsables font plus de mal que de bien à leur chef. A force de se conforter dans cette logique négative et destructrice, à force de vouloir joindre la chose et son contraire, à force de se présenter sous la chimérique étiquette d'islamo-démocrate et salafo-laïc, ce parti en est encore à la recherche d'une identité politique perdue. Pendant ce temps, Marzouki, qui essayait de se débarrasser de cet habit partisan pour se hisser au rang de président, a fini par être rattrapé seulement une heure après.