Dans le désenchantement général qui marque l'étape, des femmes se lancent dans une bataille déterminante : préparer le terrain social, juridique et financier pour un engagement effectif aux scrutins Le constat lancé par Cawtar (Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche) est effrayant : au lieu d'impulser l'engagement des femmes en politique, la transition démocratique les a gravement inhibées. La sonnette d'alarme a été tirée lundi 17 mars, lors de l'atelier organisé conjointement avec le Centre Nord–Sud du Conseil de l'Europe sur «La participation des femmes en politique». Mot d'ordre : rattraper le retard aux prochaines élections, dépasser une représentativité de façade. Derrière le théâtre de l'Assemblée nationale constituante qui, tout compte fait — 59 sur 217 élus — n'a même pas atteint son quart féminin, la réalité du paysage politique et des mœurs partisanes interpelle fortement la société civile. Aux origines de la discrimination Etudes et diagnostics à l'appui, petites et grandes ONG présentes ont dévoilé la vérité de la mère de toutes les discriminations : le très faible impact des femmes sur la vie politique et dans la prise de décision. Le timing y est pour quelque chose : la Constitution est adoptée, le nouveau code électoral se profile. Mais il y a de surcroît ce lourd bilan de la transition qui pousse à la mobilisation. «Recrudescence de la violence politique, accentuation des interdits religieux, poussée du terrorisme, image négative des élues, lacunes juridiques... De nouvelles entraves sont venues s'ajouter aux barrières classiques, telles que la précarité économique, les limites du savoir-faire, la faible confiance en soi et l'absence de volonté politique au sein même des partis dits démocrates...». Auteur d'une évaluation de la participation des femmes aux processus électoraux en Tunisie, en Egypte et en Libye, Donia Ben Romdhane, de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale, conclut sans ambiguïté au même fait : les révolutions et les transitions ont davantage fragilisé les femmes et aggravé leur faible présence en politique. Même avec des lois électorales non discriminatoires, les femmes et les hommes ne partent pas du même pied dans les courses électorales. Elles trouvent d'énormes difficultés à être têtes de liste de leurs partis, à bénéficier des largesses des réseaux de financement des campagnes et sont faiblement représentées au sein des instances électorales. Le machisme des partis et des réseaux de financement des campagnes A tout cela, Donia Ben Romdhane ajoute le machisme des partis politiques pour qui la participation des femmes est loin d'être un enjeu, le parti pris des médias qui n'accordent que peu d'espace aux figures féminines, la crise de confiance et la désaffection qui a touché l'image de l'exercice politique en ces années de transition. «Des codes de conduite pour moins de misogynie au sein des partis, des fonds et des réseaux de financement spéciaux, une meilleure représentation médiatique, des prises en charge en formation et coaching...». Pour mettre à niveau le départ en course électorale, c'est une stratégie de discrimination positive que propose Donia Ben Romdhane. Ce n'est pas Nawrès Charni qui va la contredire. A l'issue d'une enquête sur «l'impact du financement sur la participation des femmes à la vie politique», la jeune juriste membre de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux affirme : «Le scrutin du 23 octobre a montré les limites du principe de la parité énoncé en l'absence de tout cadre règlementaire au sein des partis et dans la gestion de leurs finances. Les femmes n'auront finalement représenté que 7% des têtes de listes. Parmi les anciennes candidates interviewées, beaucoup affirment avoir été juste instrumentalisées par leurs partis et fini par abandonner le combat politique». Au retour de huit mois de recherche, Nawress Charni formule une quinzaine de recommandations. Stratégies concrètes et possibles, de quoi rendre effective la participation des femmes aux prochaines élections. En attendant le code électoral... Mais avant tout, qu'en sera-t-il de la future loi électorale ? Chawki Gadass, membre de l'Association tunisienne de droit constitutionnel, répond qu'en fonction de l'article 21 de la Constitution, le futur code électoral devra consacrer et aménager les champs de l'égalité entre citoyens et citoyennes. «Cette égalité doit être reflétée à trois niveaux; celui de l'acquisition de la qualité d'électeur, celui de la gestion du processus électoral, une présence égale dans l'Isie, les Iries et les bureaux de vote, enfin celui de l'observation du processus». Sur le droit de se porter candidate, Chawki Gadass opte pour le système des quotas qui, pense-t-il, serait la manière la plus rationnelle, la plus réaliste et la plus efficiente de consacrer le principe de la parité auquel la Constitution réserve l'article 34 et l'article 46. «La loi électorale peut prévoir qu'aucun des deux sexes, hommes ou femmes, n'a le droit de dépasser la proportion de 65%», propose-t-il. Mais si le futur code électoral ne traduit pas les principes de l'égalité et de la parité hommes-femmes, il appartiendra au tribunal constitutionnel de l'attaquer. Entre risques réels et espoirs palpables, l'atelier sur la participation des femmes en politique aura marqué le lancement d'une précampagne qui dit à peu près ceci : les femmes, c'est maintenant !