Par Azza FILALI Notre secteur public se porte mal. Les chiffres se suivent, plus alarmants les uns que les autres. Sur deux cents institutions publiques, la moitié seraient déficitaires, et dix-sept sont sur le point d'annoncer leur faillite. La fonction publique est surchargée : au lieu des 350.000 fonctionnaires qui représentent sa capacité optimale, le secteur public emploie actuellement 697.000 agents. Ils étaient 500.000 en 2010, or les gouvernements de la Troïka ont embauché à tour de bras, portant à près de 700.000 le nombre d'agents employés par l'Etat. Ces embauches, insouciantes de l'équilibre du secteur public, étaient pour la plupart partisanes et à visées de fidélisation. Elles ont, en tout cas, contribué à aggraver un déséquilibre entre les secteurs. En effet, la majorité des recrutements ont concerné les ministères de l'Intérieur et de la Défense, alors que le ministère de l'Enseignement a continué d'accuser un déficit en enseignants, estimé à 13.000 dans le secondaire et 11.000 pour le primaire. Malgré ces chiffres, l'annonce par le Premier ministre de l'absence d'embauche dans le secteur public en 2014 confirme ce que tout le monde savait, en l'occurrence l'incapacité de l'Etat à budgétiser de nouveaux postes dans la fonction publique. Le délabrement du secteur public est une donnée que les citoyens côtoient désormais avec un mélange de colère et de résignation. L'état piteux des hôpitaux, la vétusté des écoles à l'intérieur de la République, le déficit des grandes sociétés nationales, tout cela affecte un secteur vital dans l'équilibre de l'Etat. A titre d'exemple : en trois ans, la compagnie des phosphates de Gafsa a, à peine, réussi à atteindre les 8 millions de tonnes par an, enregistrées jusqu'en 2010. La compagnie a, de ce fait, accusé la perte de clients tels la Pologne ou le Brésil. La Tunisie a perdu sa place de cinquième producteur de phosphates et on a assisté à l'émergence de nouveaux producteurs concurrents, tels l'Arabie Saoudite, ou le Maroc. Tout cela ne présage pas d'un rétablissement rapide du niveau de production de ce poumon essentiel de l'économie nationale. Mais le secteur public demeure indispensable. Il représente le poinçon de l'Etat et atteste de son rôle pour assurer et préserver l'intérêt public. Il est des secteurs où l'Etat doit rester seul maître à bord, et qu'il faudra défendre contre la privatisation qui se profile à l'horizon. C'est que le secteur public n'est pas un prestataire de services comme un autre. Il n'est pas anodin que la distribution de l'électricité et de l'eau et l'exploitation de la société El Fouladh, ou celle du bassin minier demeurent strictement étatiques. Tout n'est pas inféodé à la simple loi de l'offre et de la demande et il est inconcevable de «marchandiser» le secteur public. Il y va de l'identité de la nation et des devoirs de l'Etat à l'égard de ses concitoyens. Que notre pays passe par une période d'extrêmes difficultés économiques, que les institutions publiques demeurent en veilleuse, fonctionnant au ralenti et avec peu de moyens, ceci ne doit pas faire perdre de vue la nécessité pour l'Etat de reprendre en main le secteur public dès que la situation économique le permettra. Il est urgent et indispensable de redonner un nouveau souffle au secteur public. Mais il faudra aussi, et c'est autrement difficile, inculquer aux agents de la fonction publique une autre vision du travail et de la productivité. Trop souvent, ce secteur représente une voie de garage confortable, où les agents fournissent le minimum d'efforts, sans aucun sens du devoir civique qui est le leur. Certains poussent le cynisme jusqu'à aller pointer tous les jours, puis rentrer chez eux (ou aller exercer une activité lucrative parallèle), sachant que leur salaire sera consciencieusement versé chaque mois. Il est impératif d'instaurer, pour les agents du secteur public, des systèmes de contrôle de la productivité lesquels conditionneraient leurs émoluments. Bien du travail reste à faire, pour un secteur essentiel, autant de la part de l'Etat que pour ce qui est des agents qu'il emploie. Mais la pérennité du secteur public et sa vitalité sont indissociables de la souveraineté de l'Etat et de la cohésion de ses citoyens. Il importe donc de tout mettre en œuvre pour que le naufrage du secteur public soit évité.